Malisahel, confins, et souveraineté.

Publié le 28 mars 2012 par Egea

Très bonne double page cartographiée du Monde, hier soir, éclairant la crise malienne et, au-delà, sahélienne. Je ne suis pas africaniste et me garderai donc de faire des commentaires détaillés. Mais le géopolitologue peut quand même avoir qq aperçus plus "généraux" : c'est l'avantage du changement d'échelle et de la variation de dioptrie, qui font partie de ses outils.

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1/ La première chose, quand on regarde la carte, c'est de constater les formes bizarres des frontières : tout d'abord elles sont un peu difformes, et surtout rectilignes. Regardez le Mali, centré à Bamako avec son excroissance entre la zone sahélienne et la zone saharienne, au nord du fleuve Niger, après Tombouctou. Regardez aussi le sud de l'Algérie qui s'élargit jusqu'à Tamanrasset pour englober le Hoggar. Regardez le Niger, lui aussi polarisé autour de Niamey et du fleuve, avec la grande excroissance vers le nord-est... Regardez la frontière orientale de la Mauritanie...

2/ Au fond, ces confins étaient délaissés. La vraie mer, autrefois, n'était pas liquide, mais sableuse. Le Sahara séparait plus que la Méditerranée. Loi relative, bien sûr : les grandes caravanes ont toujours traversé le désert, et les Touaregs ont toujours conservé un mode de vie adapté à la survie dans ces régions. Mais elles étaient marginales, inexploitées. Au fond, les frontières linéaires n'étaient là que pour faire plaisir aux Occidentaux, on obéissait à une logique de confins : des espaces vides et délaissés, des sas de sécurité entre des pôles éloignés, qui se satisfaisaient de cette incertain. Alors, la frontière n'était qu'un front. Une zone plutôt qu'une ligne.

3/ C'est pourquoi, à rebours de ce qu'on lit partout, je reste un peu circonspect quand on m’explique que "ces Etats sont incapables de contrôler leurs frontières". Parce qu'on fond, ils ne l'ont jamais vraiment voulu, du moins selon notre acception westphalienne et nationale. Au contraire, ils découvrent aujourd'hui ces frontières, ils s'aperçoivent qu'il ne peuvent plus se contenter d'en faire des fronts, des confins. On voit apparaître des débats de souveraineté.

4/ C'est ce que dit l'Algérie depuis longtemps (car cela appartient à son logiciel géopolitique depuis l'indépendance, et la discussion initiale sur la souveraineté du Sahara : puisque le Sahara lui échut, elle développa très tôt un discours, et donc une pratique de souveraineté). C'est aussi ce que dit la Mauritanie, désireuse de tenir sa frontière. Et ce fut autrefois le litige entre Libye et Tchad, à propos de la bande d'Aouzou.

5/ Pourquoi maintenant ? Méfions nous de la théorie des zones grises, ou de la lecture néo-terroriste. AQMI est un label sur une réalité sous-jacente, Boko Haram n'est pas "simplement" un islamisme radical. Mais il y a des réalités ethniques, religieuses, réticulaires. Elles existaient, elles sont aujourd'hui révélées. Pourquoi ?

6/ Ici, je formulerai des hypothèses : je répète que je ne suis pas un spécialiste, que je n'ai pas observé les choses en détail, t que donc je raconte très probablement (une fois de plus) des bêtises: démentez moi donc. Parmi donc ces"raisons" :

  • Peut-être un effet "remplissage" (démographique) et exploitation (des ressources) : ces zones étaient inutiles, elles deviennent utiles.
  • Surtout, une meilleure traversée grâce à des véhicules et une logistique décentralisée qui permettent à tous les acteurs de se porter vite d'un point à l'autre. L'obstacle gêne de moins en moins, let les liaisons deviennent de plus en plus faciles.
  • Du coup, la logique ancienne de confins est inadaptée, et on en vient à vouloir "garder la ligne".0
  • Ajoutons un effet "autoroute de la drogue", en provenance d'Amérique du sud : voilà pour le coup une conséquence observable et directe de la mondialisation, bien plus que l'hypothèse néo-huntingtonienne de jonction des terrorismes.
  • Pour autant, j'ai l'impression (une impression, rien qui le prouve) que ce n'est pas simplement une criminalisation : là encore, la lecture Hauferienne me semble trop univoque pour tout expliquer.

Le Mali est un révélateur géopolitique du Sahel. Celui-ci ne montre pas un moins d'Etat, mais au contraire un désir d'Etat.

O. Kempf

NB : ces propos n'engagent que moi et aucune des organisations pour lesquelles je travaille.