Les mystérieux voyages de Mohamed Merah

Publié le 30 mars 2012 par Journalpakistan @journalpakistan

Pakistan. La région attire les jeunes islamistes fanatiques comme Mohamed Merah. Enquête.

Paru dans Le Point le 29 mars. Par Emmanuel Derville, à Islamabad.

Frontière afghano-tadjik, novembre 2010. Mohamed Merah pénètre en Afghanistan et se dirige vers Kaboul. Le trajet est long : 10 heures de voiture, à traverser des steppes désertes parsemées de villages jusqu’au tunnel de Salang, la dernière étape avant Kaboul. Arrivé dans la capitale afghane, Mohamed Merah poursuit son trajet vers Kandahar malgré le danger. L’autoroute est le théâtre régulier d’embuscades des gangs et des talibans contre les convois de l’Otan. Malgré tout, Merah arrive à bon port. Le 22 novembre, il tombe sur un barrage de police. Intrigués par ce Français qui se balade en pleine zone de guerre, les Afghans le confient à l’armée américaine qui le renvoie à Kaboul d’où il embarque pour Paris. Merah n’a pas pu achever son voyage. Que voulait-il faire à Kandahar ? A-t-il essayé de combattre avec les talibans ? Mystère.

Huit mois après son retour en France, Merah prépare un autre voyage. A l’été 2011, il dépose une demande de visa à l’ambassade du Pakistan à Paris. Dans le formulaire, il dit être au chômage et veut profiter de son temps libre. Le jeune homme prétend vouloir visiter des lieux touristiques à Lahore comme le Fort Royal et les jardins de Shalimar. Le 8 août, les autorités pakistanaises lui délivrent un visa touristique d’un mois. Mohamed Merah atterrit au Pakistan quelques jours plus tard. Selon les services de renseignement locaux, il séjourne à Lahore, Rawalpindi et Gujrat, dans l’Est du pays, pendant 1 mois. Il doit quitter le territoire à l’expiration de son visa qu’il fait donc prolonger. En a-t-il profité pour aller au Waziristan comme il l’a affirmé au Raid ? Le 25 mars, le porte-parole du mouvement Jundallah, une faction talibane anti-chiite, affirme à l’agence Reuters : « Mohamed Merah s’est entraîné avec le TTP, le mouvement des talibans pakistanais, au Nord-Waziristan. » Une revendication peu crédible. Le groupe Jundallah n’est pas présent au Waziristan et concentre ses attaques contre les chiites dans l’Ouest et le Nord du pays. Des talibans liés au chef pakistanais Hafiz Gul Bahadur basé au Waziristan Nord démentent tout contact avec Merah. « Nous n’avons jamais entendu parler de lui », précisent-ils par téléphone. Même son de cloche au Waziristan Sud, chez les combattants du chef taliban Maulvi Nazir. Et le porte-parole d’un groupe taliban actif dans les zones tribales de Khyber, Orakzai ainsi qu’à Peshawar ajoute : « nous n’avons jamais eu affaire à Mohamed Merah ». Ni le porte-parole du TTP, ni les chefs du mouvement n’ont diffusé de vidéo posthume de Merah pour l’instant comme c’est l’usage après un attentat réussi. Pourtant, Mohamed Merah cherchait la publicité : il avait prévu de diffuser les vidéos de ses tueries sur internet. Comme à Kandahar, il pourrait donc avoir échoué dans son projet final. D’après la DCRI, une hépatite A le force à rentrer en France fin octobre 2011.

Djihad sur internet. Le souhait de Mohamed Merah d’aller au Waziristan illustre la belle réputation de cette région chez les jihadistes. C’est là que leur icône, Oussama Ben Laden, s’est réfugié en novembre 2001. Le régime des talibans afghans, qui l’a protégé, est alors en train de s’effondrer sous les bombes américaines. Au Pakistan, le chef d’Al Qaïda est accueilli par Baitullah Mehsud. Ce barbu corpulent à la mine patibulaire deviendra le chef du mouvement des talibans pakistanais jusqu’à sa mort en août 2009. « Baitullah Mehsud a été influencé par Ben Laden, raconte Shaukat Qadir, général pakistanais à la retraite, auteur d’un rapport sur le séjour du chef d’Al Qaeda au Pakistan. A partir de 2002-2003, il a commencé à accueillir des étrangers pour les entraîner, notamment des Européens, des Ouzbeks, des Tchétchènes… » On y apprend à fabriquer une mine, ainsi que la guérilla, le maniement des armes, l’attentat suicide… Les recrues appartiennent à des organisations terroristes comme le Mouvement islamique d’Ouzbékistan ou le parti islamique du Turkistan, responsable de plusieurs attentats en Chine.

« A partir de 2006, on voit arriver une nouvelle génération d’apprentis, détaille Muhammad Amir Rana, directeur du Pak Institute for Peace Studies, spécialisé dans l’étude des groupes terroristes pakistanais. Ils n’appartiennent à aucune mouvance. Ils se sont radicalisés tout seul sur internet. A cette époque, Al Qaeda a investi la toile et sa propagande est accessible en ligne. » Ces solitaires viennent d’Allemagne, de Grande-Bretagne, de France… Les services français suivent alors une quinzaine de profils par an. Reste que le jihad n’a rien d’une promenade de santé. Walid Othmani en sait quelque chose. Ce Lyonnais de 25 ans est interpellé à son retour du Pakistan en 2008. Aux policiers, il décrit les conditions de vie sur le terrain : on le soupçonne d’être un espion et l’accueil de ses « frères » est tout sauf chaleureux. Il doit débourser environ 1000 euros pour payer son fusil AK-47, ses grenades et ses munitions. L’intégration prend du temps pour ces Européens qui ne comprennent pas le pachtoune, la langue locale.

Pour d’autres, le voyage tourne court. Le 25 janvier 2011, Sharaf Din, un Français d’une vingtaine d’années, débarque à Lahore avec son ami Zohaib Afzal, un Franco-Pakistanais. Originaires de la région parisienne, les deux jeunes ont basculé dans le fanatisme en surfant sur des sites djihadistes. Ils ont pris contact avec un Pakistanais dont ils ont eu les coordonnés sur un forum de discussion. Il doit les aider à aller au Waziristan. Au lieu de ça, ils sont repérés par les services locaux dès leur arrivée, interpellés, expulsés.

Aujourd’hui, les zones tribales attirent moins de candidats. Depuis le printemps arabe, la Libye et le Yémen sont en vogue. Mais aussi la Somalie. Contrairement au Waziristan, on ne risque pas d’y prendre un tir de drone sur la tête. Les Européens n’ont toutefois pas disparu des zones tribales puisque des Allemands étaient sur place il y a quelques mois. C’est ce qu’ont révélé deux otages suisses, David Och et Daniela Widmer. Le 15 février dernier à l’aube, ces touristes prisonniers des talibans au Waziristan Nord, échappent à leurs ravisseurs. Après quelques heures de marche, ils tombent sur un barrage de l’armée pakistanaise. Héliportés vers Islamabad dans l’après-midi, ils expliquent à leur ambassade qu’ils ont été en contact avec des combattants allemands. A l’été 2011, les talibans leur font tourner une vidéo et ont besoin d’avoir d’interprètes pour contrôler les propos des otages qui parlent suisse-allemand.

Le Waziristan n’a donc pas fini de donner des sueurs froides aux agences de renseignement européennes d’autant que le dialogue avec les services pakistanais laisse à désirer. « Il n’y a pas de réelle coopération entre nous et les services français », admet-on au siège de l’ISI, l’agence pakistanaise de renseignement, à Islamabad. C’est le moins qu’on puisse dire. Mohamed Merah, fiché par la DCRI en 2010, obtient un visa pour le Pakistan en 2011 puis prolonge son séjour. Et l’ambassade de France à Islamabad n’est pas prévenue. Vous avez dit couac ?