Présidentielle : gagner n’est pas jouer

Publié le 03 avril 2012 par Lbouvet

Article publié dans le Huffington Post, le 2 avril 2012.

Peut-on gagner une élection présidentielle a minima? Et si oui, dans quelles conditions peut-on ensuite gouverner? C’est, en substance, la question qui se pose aujourd’hui à François Hollande.

Depuis des semaines et en dépit de la “remontée” de Nicolas Sarkozy dans les intentions de vote du premier tour, toutes les enquêtes d’opinion donnent François Hollande vainqueur au second tour, avec une marge significative. Le rejet du président sortant, mesuré par de nombreux indicateurs, reste très fort. Beaucoup plus en tout cas qu’il ne l’a jamais été par le passé. Si bien que l’on voit difficilement comment il pourrait l’emporter même si tout est toujours possible dans une élection présidentielle -et notamment une dynamique de second tour totalement nouvelle après un premier tour qui pourrait apporter des surprises: notamment une Marine Le Pen bien plus haut que son score actuel dans les sondages.

La “certitude” de la victoire a, hélas, profondément influencé la stratégie de François Hollande, quoi qu’il en dise. Il fait depuis des semaines une campagne de front runner comme le disent les Américains. En clair: pas de vague, pas de risque mais pas d’éclat non plus. Si bien que l’on a l’impression que la campagne socialiste ronronne. Entre déplacements thématiques du candidat et discours quotidiens dont personne n’est capable de retenir la moindre idée saillante, dont il ne reste aucun moment accrocheur.

Le contraste avec la campagne sur fond de grosse caisse de Nicolas Sarkozy est évidemment saisissant, même si celui-ci peut difficilement être convaincant. Le poids, négatif, du bilan présidentiel est tel que rien n’y fait. Si le président sortant a repris la main médiatiquement et dans les intentions de vote de premier tour depuis son entrée en campagne et le ralliement de quasiment tous les “petits candidats” de droite, son avance n’est pas franche -on reste dans les marges d’erreur des sondages. Rien de bien fracassant donc sinon le bruit incessant des propositions sans queue ni tête d’un président-candidat qui tente le tout pour le tout.

Le problème de Hollande n’est finalement, et paradoxalement, pas tant Sarkozy (ou Mélenchon d’ailleurs) que lui-même, ou plutôt sa manière de concevoir l’action politique et de faire campagne. Sa récente déclaration selon laquelle “[il] préfère gagner une élection avec un peu moins d’enthousiasme que de la perdre avec beaucoup plus de ferveur” est symptomatique. Mais est-ce que cela correspond au scrutin très particulier qu’est l’élection présidentielle?

Le risque de la stratégie hollandaise est, contrairement aux apparences, politiquement élevé puisqu’elle ne suscite pas une mobilisation forte de l’électorat et qu’elle s’appuie sur un socle étroit au premier tour.

L’abstention pourrait ainsi atteindre un niveau plus beaucoup plus haut qu’en 2007 -année de très forte participation aux deux tours de l’élection il est vrai. Ainsi, à la question “Sur une échelle de 1 à 10, pouvez-vous dire quelle est la probabilité pour que vous alliez voter au premier tour de la présidentielle?”, 71% des personnes se disaient, à la mi-mars, certaines de se rendre aux urnes (c’est-à-dire à 10 dans l’échelle) contre 83,8% à la même époque en 2007. C’est, de surcroît, dans la France périphérique fragile de l’enquête de Brice Teinturier et Christophe Guilluy pour l’Ipsos qui regroupe 48% de la population et les gros bataillons des catégories populaires, que l’intention déclarée d’aller voter est la plus faible.

Malgré sa stabilité et une répartition relativement équilibrée dans l’ensemble des “France” de l’étude susmentionnée (pour lire l’étude, cliquez ici), le socle électoral de premier tour du candidat Hollande reste malgré tout étroit puisqu’il demeure inférieur à 28% des intentions de vote -et surtout plus fragile dans les catégories populaires-, alors même que la candidate écologiste est quasi-inexistante électoralement. D’ailleurs, malgré la progression des intentions de vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon ces dernières semaines, le total gauche ne dépasse jamais, au mieux, les 45% d’intentions de vote au premier tour.

Dans une telle configuration (abstention élevée, socle électoral de premier tour étroit, total gauche faible), la victoire potentielle de François Hollande au second tour, sans doute beaucoup plus serrée qu’annoncée, ne manquerait pas de rappeler les élections locales remportées avec constance depuis dix ans par la gauche. Comme si c’était devenu, au fil des ans, une forme de modèle électoral et sociologique pour elle. On ne peut d’ailleurs totalement exclure l’hypothèse d’un PS devenu depuis quelques années un vaste syndicat d’élus locaux et qui ne pourrait réagir autrement qu’en concevant la présidentielle comme un énième scrutin local. Et, de là, son candidat comme porteur, au premier plan, de cette réalité politique.

Toujours est-il qu’une telle stratégie de victoire a minima sinon par défaut pourrait être lourde de conséquences une fois le pouvoir d’Etat conquis -d’autant que cette fois, l’hégémonie socialiste et de la gauche serait absolue en cas de victoire aux législatives en juin. Non seulement en raison des lourdes contraintes économiques mais encore de l’impossibilité de penser et d’agir à la bonne hauteur. Le désenchantement pourrait alors être aussi rapide que profond dans l’opinion face à un pouvoir disposant de tous les leviers en apparence mais d’un soutien populaire si étroit qu’il serait vite incapable d’agir au-delà de l’adoption de mesures symboliques, “marqueurs” idéologiques de la gauche -droit de vote des étrangers aux élections locales, retrait du mot “race” de la Constitution, ratification de la charte des langues régionales, mariage homosexuel, etc. mais dont il n’est pas certain qu’elles répondent aux préoccupations premières des Français.

De plus, à peine les lampions de la fête de la victoire éteints, les yeux de tous les élus de gauche seront fixés sur l’horizon indépassable des prochaines élections locales, dès 2014, qui pourraient être doublement difficiles à négocier compte tenu de leur caractère d’élections de “mi-mandat” et du niveau élevé d’où partiront le PS et ses alliés -qui pourraient d’ailleurs s’avérer plus coriaces que prévu, à la mesure du score de premier tour d’un Mélenchon par exemple. Ce qui ne manquera pas d’accroître encore la difficulté de l’action gouvernementale.

On peut, bien évidemment et bien volontiers, comprendre que la gauche attende dans une impatience fébrile sa première victoire à l’élection présidentielle depuis 1988. Mais on peut aussi craindre, alors que l’on est encore dans la campagne, que les conditions dans lesquelles cette victoire pourrait être acquise le 6 mai prochain ne soient pas les plus propices à l’établissement d’un pouvoir de gauche durable, juste et efficace. Ce, pourtant, dont le pays a le plus besoin aujourd’hui.


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