L’AVENTURE DE WALTER SCHNAFFS, d'après Maupassant

Publié le 05 avril 2012 par Dubruel


Un détachement Uhlan

S’avançait en pays normand.

W. Schnaffs fut envoyé en reconnaissance.

Rien n’indiquait une possible résistance.

Les Prussiens descendaient dans un vallon

Que coupaient des ravins profonds

Quand une fusillade les arrêta,

Jetant bas

Une vingtaine des leurs.

Une troupe de francs-tireurs,

Sortant d’un petit bois brusquement

S’élança en avant

La baïonnette au fusil.

 

Walter demeura d’abord surpris.

Puis face à cette artillerie,

Un désir fou de détaler le saisit.

 

Voyant un fossé derrière un tas de foin,

Il y sauta à pieds joints.

Pour se cacher,

Il se couvrit de feuilles séchées

Et se mit à réfléchir.

Qu’allait-il faire ? Qu’allait-il devenir ?

Il ne pouvait rester dans ce fossé

Jusqu’à la fin des hostilités.

S’il n’avait pas fallu manger,

Cette perspective ne l’aurait pas dérangé.

Il se mit soudain à penser :

Si seulement j’étais prisonnier !

Prisonnier des Français

Je serais nourri, logé, si j’étais prisonnier !

Je vais me constituer prisonnier.

Où allait-il se constituer prisonnier ?

Comment ? De quel côté ?

Il aller courir de terribles dangers

En s’aventurant

Seul, en uniforme allemand.

 

S’il croisait des paysans ?

Il serait abattu

Comme un chien errant.

S’il rencontrait des francs-tireurs,

Ceux-ci le fusilleraient

Pour s’amuser, pour passer une heure,

Histoire de rire, de se marrer.

S’il rencontrait un bataillon,

On lui tirerait dessus.

Il s’affaisserait

Et on le retrouverait

Troué de balles comme une écumoire.

La situation lui paraissait sans issue.

La nuit était venue,

La nuit muette et noire.

Walter ne bougeait plus,

Tressaillant à tous les bruits inconnus.

Il s’imaginait entendre marcher près de lui.

Puis, épuisé, il s’endormit.

 

Il se réveilla vers midi, le ventre creux.

Il guetta le passage d’un paysan

Sans outil de travail dangereux.

Il lui dirait qu’il se rend.

Walter sortit de son fossé.

Personne n’apparaissait.

Là-bas, à gauche, il apercevait

Des guirlandes de corbeaux

Survolant le toit d’un grand château.

 

Il s’en approchait et observait

Qu’une fenêtre n’était pas fermée.

Un délicat fumet s’en échappait.

Cette odeur lui pénétra dans le nez.

Alors, sans réfléchir, il apparut, casqué

Dans le cadre de cette fenêtre.

Six domestiques dinaient.

Soudain une bonne laissa tomber son verre.

Tous les regards suivirent le sien !

On aperçut l’ennemi. Les Prussiens !

Ils attaquaient le château ! leur maison !

On prit la fuite vers la porte du fond.

En deux secondes, la pièce fut abandonnée.

La table était couverte de mets raffinés.

 

Walter enjamba le mur d’appui,

S’avança vers la table.

Sa faim le faisait trembler

Mais il fut pris

D’une terreur abominable

Qui le paralysait.

Il écouta. Des portes se fermaient,

Des pas rapides couraient.

Des gens s’enfuyaient.

Toute agitation cessa bientôt.

Il devint silencieux, le château !

Walter tendit encore l’oreille

Puis se mit à manger.

Par grandes bouchées il mangeait

Il vida aussi toutes les bouteilles.

Peu à peu ses yeux se fermaient.

Ses idées s’engourdissaient.

Puis il perdit la notion des choses et des faits.

 

Des ombres glissaient dans les fourrés.

Parfois un rayon de lune faisait

Reluire dans l’ombre une pointe d’acier.

Soudain une voix tonnante hurla :

-En avant ! à l’assaut, soldats !

Vingt hommes armés bondirent dans la cuisine

Walter vit vingt fusils se poser sur sa poitrine.

Il fut roulé, culbuté,

Saisi, garrotté.

Un gros militaire chamarré d’or

Lui planta son pied sur le ventre et vociféra :

-Vous êtes mon prisonnier, sale porc !

Le Prussien gémit : -Ya, ya, ya.

Et souriait,

Souriait,

Sûr d’être enfin prisonnier !

 

Un autre officier

Entra et dit :

-Mon colonel, les ennemis se sont enfuis ;

Plusieurs semblent avoir été blessés.

La situation est maintenant normalisée.

Le gros militaire vociféra :

 -Victoire ! Et il écrivit sur son agenda :

« Après une lutte acharnée, insensée,

Les Prussiens ont dû battre en retraite

Sans tambour ni trompette,

Emportant leurs morts et leurs blessés

On évalue cent uhlans hors de combat.

Nous en avons arrêté des tas. »

 

Le jeune officier reprit :

-Mon colonel, quelles dispositions dois-je prendre ?

-Nous allons organiser le repli

Pour éviter de nous faire surprendre

S’ils revenaient avec des forces supérieures.

Et il donna à ses sbires

L’ordre de partir.

 

Dans le quart d’heure,

Entourant bien le prisonnier,

Maintenu par huit guerriers,

La colonne se mit en mouvement.

On avançait prudemment

Sous les ramures.

On attint enfin la sous-préfecture.

La population surexcitée attendait.

De formidables clameurs éclatèrent,

Les enfants exultèrent.

Un aïeul lança sa béquille au Prussien

Et blessa le nez d’un de ses gardiens.

Les vieilles pleuraient.

Le colonel criait :

-Veillez à sa sûreté !

 

La prison fut ouverte. Walter y fut jeté.

Malgré des symptômes d’indigestion

Qui le tourmentait depuis quelque temps

Walter, débordant de jubilation,

Se mit à danser éperdument.

Il était prisonnier ! Sauvé !

 

C’est ainsi que le château de Jarvet

Fut repris à l’ennemi.

On décora le colonel de Saint-Rémy.

Emile AIVOILE

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Beaucoup reviennent de la guerre qui ne peuvent décrire la bataille.

Proverbe italien

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