Malaise dans la société

Publié le 13 mars 2008 par Jcgbb

Il faut faire progresser l’idée de progrès : voilà ce qu’aime à répéter le philosophe Edgar Morin, car il est naïf de toujours croire à une progression unilatérale des choses. Un progrès peut s’accompagner d’une régression, en même temps, corrélativement. Il arrive parfois qu’il l’entraîne à sa suite.

C’est sans doute le cas de notre société, jusque dans ce qu’elle a de plus noble, de plus digne et de plus moral. La société c’est le contraire de la violence, de la guerre. C’est vivre sous des règles communes, en partageant des liens, de telle sorte qu’au lieu d’agresser les autres, de voler ou de nous brutaliser, nous coexistons pacifiquement : on se croise poliment sans avoir peur, on se parle, on devient amis, parents, amants…

Dans la société, la violence devient une exception, c’est du moins son exigence. Son but est de nous rendre plus doux, plus modérés, plus lisses. C’est aussi le but de toute éducation : dompter les instincts, enseigner la patience, apprendre le renoncement, montrer la nécessité de l’effort – ce qui fait que l’éducation est si difficile, car il faut sans cesse aller à contre-courant, de ce qui est facile, naturel et plaisant.

On se socialise donc en se maîtrisant, en devenant le maître de soi-même. Autrement dit, au lieu de se révolter contre les autres et tous ceux qui font obstacles à nos désirs, c’est une partie de nous-mêmes qui mène la guerre à l’autre. Se civiliser, c’est devenir son propre juge, se faire le bourreau de soi-même.

Tel est l’ambigu progrès de la moralité. Car ce qui fait cesser la violence entre les hommes, l’augmente en eux-mêmes. Au lieu d’agresser les autres, c’est soi-même qu’on brutalise : on apprend le remords, la faute, la culpabilité. Ce pourquoi Freud concluait qu’il y a quelque chose de beau mais de malsain dans ce progrès.

La condition de la paix, c’est de mener la guerre contre soi-même – ce qui est aussi malsain.