Lointain souvenir de la peau de Russell Banks

Par Sylvie

ETATS-UNIS


Editions Actes Sud, 2012

Sans doute le roman le plus ambitieux, le plus marquant de cette année même si nous ne sommes qu'au mois de mars. 

Une oeuvre dérangeante qui assigne à la littérature son plus beau rôle : celui s'interroger les rouages malades de notre société, aller voir du c^té où l'on ne va jamais voir, par peur, par dégoût, par notre bonne conscience triomphante. 

Russell Banks va là où ça fait mal en prenant pur personnage principal Le Kid, un jeune délinquant sexuel de 21 ans. Ce Kid est devenu un sans abri, condamné à vivre sous un viaduc, en Floride,comme les autres condamnés. Son seul ami : un iguane qu'il a recueilli depuis qu'il est enfant. Un enfant solitaire qui regardait sur Internet des films pornos lorsque sa mère recevait des hommes dans sa chambre... La société américaine le condamne pendant 10 ans à porter un bracelet électronique et à ne pas s'approcher à moins de 800 mètres d'une école, d'un parc ou d'une aire de jeux.

Scène inaugurale emblématique de la société américaine sécuritaire et puritaine : Le Kid rentre dans une bibliothèque pour se renseigner sur la présence d'un délinquant sexuel dans son quartier. La bibliothécaire lui indique sur son ordinateur un point rouge signalant sa maison...puis tout à coup, sa photo et sn nom apparaissent...Big brother à l'assaut de la délinquance....

Le roman prend toute sa dimension romanesque lorsque le Kid rencontre sous le Viaduc, "Le Professeur", génie obèse, professeur de sociologie, qui dit vouloir faire une étude sur les sans abris délinquants sexuels et comprendre l'origine de cette nouvelle déviance...et aussi les aider à construire une vraie société organisée de sans-abris avec leurs règles et leurs interdits. 

Qui est ce professeur ? Un universitaire ? Un ancien espion? Lui-même un délinquant sexuel ? Ou encore un génial raconteur d'histoires ? 

Toujours est-il qu'entre le Professeur et le Kid se noue une étrange relation d'attirance et de répulsion, de maître/élève Au contact du "génie", le Kid s'ouvre à lui et au monde, raconte son histoire, une histoire...

Car finalement, il est question de beaucoup d'histoires dans ce roman. D'histoires pour se constituer une identité, pour se sauver, pour se guérir. Et alors, si tout est fiction, rien n'est faux, rien n'est vrai. Oublions donc la logique rationnelle qui cherche à prouver scientifiquement la vérité. Il suffit juste de vouloir croire à ces histoires qui nous font avancer et accepter de vivre....

N'en disons pas plus au risque de dévoiler l'intrigue. Russell Banks construit des personnages énigmatiques qui garderont à jamais leurs secrets. Car le but de la littérature n'est pas de trouver des solutions et de dire la vérité mais au contraire de poser les questions, les problèmes,de donner une piste sans forcément y répondre...

La fiction relève du domaine de la croyance et du questionnement alors que la société américaine juge et stigmatise.

Russell banks nous fait approcher des personnages que nous n'aurions jamais approché si la littérature n'existait pas. Il leur donne une complexité humaine alors que la société les juge.

L'objectif n'est pas de comprendre mais de complexifier l'humain, de lui donner une vrai dimension même s'il est coupable. 

Un roman humaniste comme nous n'en avions pas vu depuis longtemps. 

A lire, un entretien intéressant de Russell Banks sur http://www.slate.fr/story/52219/russell-banks-lointain-souvenir-de-la-peau-litterature

"ces hommes là sont des êtres humains, pas des chimpanzés ni des gorilles. Ils appartiennent à la même espèce que nous. Et nous ne sommes pas câblés pour commetre de tels actes. ...Et si nous n'identifions pas les changements qui, dans notre civilisation, attaquent nos systèmes immunitaires socieux et éthiques -systèmes auxquels nous nous référons d'habitude en parlant de tabous- il ne faudra pas longtemps avant que nous succombions tous. Nous deviendrons tous des délinquants sexuels"