Le discours nationaliste afro-américain est-il encore d’actualité?

Publié le 10 avril 2012 par Robindebrousse @robindebrousse

Est ce que le fait d’être fier de ses origines veut forcément dire qu’on doit rejeter tout ce qui est différent de nous? Est ce que le fait d’avoir été victime de l’injustice d’un groupe justifie qu’on se laisse aller à la loi du Talion? À ces questions, mon ami Moreno répondrait oui. Moreno et moi avons eu une discussion ce weekend qui m’a donné froid dans le dos. Il est d’origine haïtienne et comme beaucoup de ses compatriotes, il est le fruit d’un métissage complexe entre les amérindiens, esclaves africains, propriétaires espagnols et colons européens. Moreno a été particulièrement marqué par les initiatives d’activistes afro-américains comme Malcom X et Martin Luther King Jr. Selon lui, Malcom X est un héros parce que c’est lui qui a été parmi les premiers à dénoncer «l’oppression de l’homme blanc» et selon lui, le discours de cet icône est toujours d’actualité.

Sans être familière avec les détails de l’histoire de Malcom X, je sais qu’il a appartenu au mouvement islamiste nationaliste Nation of Islam. Nation of Islam (NoI) est officiellement d’un groupe religieux afro-américain qui a été fondé en 1930 à Détroit. Ses adeptes vivent selon des principes musulmans et vouent une quasi adoration à son fondateur Wallace Fard Muhammad dit Elijah Muhamad, Sauveur des afro-américains. En réalité, il s’agit d’une idéologie qui prône le nationalisme afro-américain, le racisme que le mouvement justifie par l’oppression des noirs pendant des siècles d’esclavage et la ségrégation raciale.

Malcom X est né d’une mère métisse et d’un pasteur afro-américain. C’est pendant un séjour en prison que Malcom se converti à l’Islam et rejoint le NoI. Il grandit dans un contexte de ségrégation raciale et est témoin des conditions de vie difficiles au sein de la communauté noire. Par ailleurs, il vient d’une famille qui a été marquée par la violence des blancs : sa mère aurait été le fruit d’un viol par un écossais et son père a été tué par des membres du Ku Klux Klan. On peut comprendre que l’idéologie du NoI ait séduit Malcom X. Il utilise d’ailleurs son charisme et à ses talents d’orateurs pour prêcher les principes du NoI. Il devient une des figures principales du NoI pendant les années 50-60 et a participé à la conversion de milliers d’afro-américain à l’Islam – dont Muhammad Ali.

En 1963, après avoir confronté les membres du NoI sur des questions de mœurs et de détournement de fonds, Malcom X décide de quitter cet organisation pour créer en 1964, après un séjour à la Mecque, sa propre organisation The Muslim mosque inc. Il dénonce alors le racisme du NoI et continue à lutter en faveur des droits civiques et se met l’emphase sur les enseignements de l’Islam. Remarquons que Malcom X se dissocie du discours de non-violence et de tolérance de Martin Luther King Jr. Il dit dans son discours The Ballot or the Bullet  du 3 avril 1964 à Cliveland :

Si l’homme blanc ne veut pas que nous soyons contre lui, qu’il cesse de nous opprimer, de nous exploiter et de nous dégrader. Que nous (les noirs) soyons chrétiens, ou musulmans, ou nationalistes, ou agnostiques, ou athées, nous devons d’abord apprendre à oublier nos différences. [...] Nous allons être forcés d’employer le vote ou la balle. [...] Je ne me considère même pas comme un Américain. Je ne suis pas un Américain. Je suis l’une de vingt-deux millions de personnes noires qui sont les victimes de l’américanisme [...] Il y aura des cocktails Molotov ce mois-ci, des grenades à main le mois prochain, et autre chose le mois suivant. [...] Ce sera la liberté, ou ce sera la mort. C’est la liberté pour tous ou liberté pour personne.

Source : The Ballot or the Bullet, traduction de wikipedia

Son héritage

C’est un fait, Malcom X a été une source d’inspiration pour les afro-américains à retrouver l’estime de soi, à rechercher leur identité. Il a certainement contribué à la lutte pour les droits civiques et à la défense des conditions socioéconomiques de sa communauté. Cependant, je pense qu’il faut faire attention à ses idées radicales et racistes avant la scission avec le NoI.  Ce n’est qu’après son pèlerinage à la Mecque que Malcom reconnait que la problématique des noirs américains n’est pas seulement raciale :

Il y avait des dizaines de milliers de pèlerins, de partout dans le monde. Ils étaient de toutes les couleurs, des blonds aux yeux bleus aux Africains à la peau noire. Mais nous étions tous les participants d’un même rituel, montrant un esprit d’unité et de fraternité que mes expériences en Amérique m’avaient mené à croire ne jamais pouvoir exister entre les blancs et les non-blancs. L’Amérique doit comprendre l’islam, parce que c’est la seule religion qui efface de sa société le problème des races.

Les africains ont été victime de l’occupation et de la colonisation européenne. Mais je pense que l’histoire des descendants des esclaves africains est différente dans le sens où ils ont été marqués au fer rouge par les atrocités de l’esclavage. C’est à cause de multiples immigrations forcées que ces populations ont perdu une bonne partie de leur identité. Enfin, la situation économique peu prospère dans les caraïbes et dans les communautés noires des États Unis n’a rien fait pour améliorer les choses. Tant de raisons qui peuvent faire naître des discours radicaux. Pourtant, ce discours n’est plus forcément d’actualité. Aujourd’hui les afro-américains jouissent de droits civiques, leurs conditions de vie sont nettement meilleures qu’il y a 50 ans. Au delà de ceci, il faut comprendre que les réalités ont changé. Nous sommes amenés à vivre avec des personnes de cultures différentes et beaucoup d’entre nous sont issus de cultures différentes. Ceci me laisse espérer qu’on vit dans un monde plus tolérant.

Ce n’est pas parce qu’on est fier de son héritage qu’on doit nécessairement céder à la généralisation et la paranoïa. Ceci est vrai pour les afro-américains, les africains, les Amérindiens et tous les peuples qui a un moment ont souffert de l’oppression d’autres peuples. Il faut exprimer son identité oui, mais ceci ne devrait-il pas aussi se faire dans la tolérance?

À voir :

Malcom X, 1992, de Spike Lee