Versifications ? Etrange...

Par Etrangere
 De temps à autres, je disparais... pour ressurgir avec quelques bribes de mots, volés à l'instant. 
J'avais pensé faire un petit détour par la pensée futuriste - décomplexée et charnière, sans-doute, des temps nouveaux. Mais auparavant, on m'a fait découvrir (et on se reconnaître ^^) une poésie de l'inconscient et du rêve perturbé de quelque homme fou - ou sage. 

Qui suis-je ?

Qui suis-je ?
D’où je viens ?
Je suis Antonin Artaud
et que je le dise
comme je sais le dire
immédiatement
vous verrez mon corps actuel
voler en éclats
et se ramasser
sous dix mille aspects
notoires
un corps neuf
où vous ne pourrez
plus jamais
m’oublier.

Antonin  Artaud, comédien et auteur. 


Le Navire Mystique

Il se sera perdu le navire archaïqueAux mers où baigneront mes rêves éperdus ;Et ses immenses mâts se seront confondusDans les brouillards d’un ciel de bible et de cantiques.
Un air jouera, mais non d’antique bucolique,Mystérieusement parmi les arbres nus ;Et le navire saint n’aura jamais venduLa très rare denrée aux pays exotiques.
Il ne sait pas les feux des havres de la terre.Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaireIl sépare les flots glorieux de l’infini.
Le bout de son beaupré plonge dans le mystère.Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuitsL’argent mystique et pur de l’étoile polaire.

La Solitude, A. Harrison, Musée d'Orsay


En 1920, le jeune Antonin Artaud monte à Paris. Ses premières tentatives de travail littéraire ne rencontrent pas l'approbation des maisons d'édition. Mais Arthaud n'en demeure pas moins fasciné par le théâtre : il fréquente Lugné-Poë, directeur de l'Oeuvre, et joue dans ses spectacles. Il collabore également avec plusieurs metteurs en scène ; mais c'est avec les Pitoëff qui il partage un idéal : celui du théâtre du rêve, de l'onirisme. 
Avec Vitrac, il fonde le théâtre Alfred Jarry où il bouscule le public : selon lui, pour qu'un spectacle soit "vrai", il doit être teinté de grotesque et de risque - idée reprise par Eugène Ionesco dans son théâtre de l'Absurde, où il faut " [intégrer] le cirque". Mais ces conceptions trop modernistes de "THéâtre de la Cruaté" (comprendre ici : mise en exergue de la souffrance d'être homme) effrayent un public habitué à plus de tradition. 'Trop grande acuité dans l'interprétation" : c'est là la sentence relative à ses interprétations  en auditions, alors qu'il tente d'appréhender le cinéma.  
La révélation ne vient qu'en 1931. Artaud est le spectateur extatique d'une représentation de théâtre balinais. Dès lors, il nuance ce qu'il croit être la fonction phatique du langage. Il reconsidère la langue comme "lien au réel" plutôt que contenant : les mots sont un "point de suture" de la pensée. Transe et rituels deviennent pour lui des moyens de communication avec l'abîme. C'est cette approche qu'il décrit dans Le Théâtre et son double, dont la portée est tout d'abord ignorée par ses contemporains. 
Un demi-siècle plus tard, le public redécouvre cet homme transi, poète  virtuose, brillant visionnaire et théoricien. Artaud, homme énigmatique et incompris, croyait à une forme divine et inspirée de l'écriture et des arts :

"Et voilà, moi, ce que je pense de la pensée :

CERTAINEMENT L'INSPIRATION EXISTE.

Et il y a un point phosphoreux où toute la réalité se retrouve, mais changée, métamorphosée, -et par quoi??- un point de magique utilisation des choses. Et je crois aux aérolithes mentaux, à des cosmogonies individuelles."