Mise en scène de l'autre, arts de la scène et arts contemporains, au Musée du Quai Branly

Publié le 19 avril 2012 par Onarretetout

Dans le cadre de l’exposition Exhibitions, l’invention du sauvage, le Musée du Quai Branly organise des rencontres-débats. Le 14 avril, c’était autour de la question de la « mise en scène de l’autre, arts de la scène et arts contemporains ».

Sylvie Chalaye a d’abord fait un rappel historique, montrant les ménageries exotiques du milieu du XIXe siècle, où ceux qui sont présentés comme indigènes des pays dont on expose la faune sont dévêtus et ont systématiquement une attitude agressive. Cette présentation va se prolonger plus tard avec l’installation de vrais - faux villages où l’homme aura l’allure guerrière et la femme paraîtra lascive aux seins nus. Le Noir sera l’ombre du Blanc et l’Afrique lointaine aura l’aspect inquiétant. Dans cette conception, montrer les danses d’Afrique consistait à montrer des danses sauvages, interprétées par des danseurs venus des Antilles (Jo Alex) ou des Etats-Unis (Joséphine Baker), à qui on demande d’incarner une Afrique fantasmée par des Européens. Sylvie Chalaye parle alors d’identité « d’assignation » face à quoi il faut aujourd’hui reconstruire le corps pour une identité « en devenir ».

Latifa Laâbissi choisit ensuite de montrer des extraits de captations vidéo de deux de ses créations (Self portrait camouflage, et Loredreamsong). Les premières images sont celles de son corps, nu, la tête couverte d’une coiffe de chef indien, violence des images. Elle est, un peu plus tard, devant un micro et articule des paroles inaudibles. Conquérir la parole est essentiel et cette parole, quand on l’entend dans l'obscurité d’abord, puis dans une sorte de salle de classe, est portée par un accent marocain qui, en premier lieu, fait rire. Et c’est cette question du rire à propos de l’autre, de l’étranger, de l’accent dans la langue parlée, qui revient dans l’extrait suivant où Latifa Laâbissi partage avec Sophiatou Kossoko, toutes deux cachées sous des draps blancs (fantômes ? références au Ku Klux Klan ?), des blagues racistes, riant toutes deux et entraînant les rires du public jusqu’à ce que ça coince et qu’on ne puisse plus en rire.

Jean-Marie Gallais nous propose un regard sur les installations à portée ethnographique : écomusées, mises en espace de coutumes parfois anciennes, parfois contemporaines. Les artistes cités ne se prétendent pas scientifiques et il parle à leur propos de folklorisme. Ces artistes ne vont pas chercher « l’autre » dans un exotisme lointain mais dans une histoire proche (comme Jeremy Deller dans une exposition au Palais de Tokyo en 2000). Ne sont-ils que des « demi-savants », pour reprendre le titre d’un spécialiste du folklore, Arnold van Gennep (mort à Bourg-la-Reine en 1957, à 84 ans) ? Ou sont-ils les inventeurs d'une sorte d'archéologie symbolique et artificielle substituant à la réalité une forme de fiction?

Lou Forster a clos cette partie de la conférence en présentant quelques artistes contemporains mettant en scène des corps en situation d’humiliation. Ainsi Santiago Sierra, artiste mexicain, verse un salaire à un homme pour qu'il reste debout face au coin d’une salle pendant la durée de l’exposition ; il interroge de cette manière l’aliénation que peut représenter le salariat, et la soumission du salarié, cette mise au coin rappelant certaines punitions de l’enfance… D’autres artistes jouent de ces situations humiliantes. En France, le Conseil d’Etat a décidé qu’un maire (en l’occurrence celui de Morsang-sur-Orge) pouvait interdire le « lancer de nain », car cette activité portait atteinte à la dignité de la personne humaine, ce qu’a confirmé le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies en 1995. Cette décision a des conséquences sur les tentatives éventuelles d’artistes qui voudraient présenter des situations portant atteinte à la dignité humaine. D’une manière générale, l’exposition de corps, dit Lou Forster, est considérée comme avilissante, tandis que l’exposition d’objets serait valorisante.

Pour conclure cette conférence, après quelques mots à propos du livre publié en mars par les éditions les points sur les i, Chantal Loïal a présenté dans le hall du Musée un extrait de son solo, On t’appelle Vénus (photo ci-dessous de Patrick Berger), évoquant la « Vénus hottentote », exhibée à Londres puis à Paris au début du XIXe siècle.