Visions de l’enfer à Kinshasa (gangrène du Congo)

Par Borokoff

A propos de Viva Riva ! de Djo Tunda Wa Munga

Après 10 ans d’absence, Riva rentre à Kinshasa, les poches pleines d’argent, et retrouve son ami J.M. Mais Riva a dû fuir l’Angola parce qu’il a arnaqué son patron en lui volant plusieurs barils d’essence qu’il revend à prix d’or dans la capitale congolaise en pénurie. Alors que Riva ne pense qu’à s’enivrer et à dépenser son argent dans des boites de nuit, il rencontre Nora, la femme d’un caïd local. Fascinée par elle, la sensualité qu’elle dégage, Riva décide de la séduire tandis que les furieux et sanguinaires hommes de main de son patron angolais sont à sa poursuite et n’hésitent pas à tuer quiconque se dresse sur leur chemin…

Voilà une vraie curiosité et la plus belle surprise de la semaine sans doute. Second film de Djo Tunda Wa Manga après Papy, 2007 (moyen-métrage), Viva Riva ! n’est que le second-long métrage produit au Congo depuis 1987 et La vie est belle de Mweze Ngangura auquel Djo Tunda Wa Manga fait un clin d’œil à la fin du film.

Cela ne l’a pas empêché d’être interdit de sortie en salles au Congo en raison de ses scènes de sexe explicites qui constituent encore un tabou dans le pays et en Afrique en général.

Viva Riva ! est un drôle de film. Un film joué par des acteurs pour la plupart amateurs (hormis notamment Manie Malone alias Nora) et dont le scénario parait parfois décousu voire abracadabrantesque comme ses dialogues mais dont la matière, la richesse et la consistance sont eux bien cinématographiques.

Dans une capitale en ébullition et au bord de l’implosion, la caméra de Djo Tunda Wa Manga colle aux pas de son héros Riva, truand insouciant sous l’emprise de la charmante et voluptueuse Nora. La touffeur qui règne dans la capitale, l’ambiance étouffante des discothèques dans lesquelles traine Riva évoquent celles de La nuit nous appartient de James Gray. Mais les moyens du financiers ne sont pas les mêmes pour les exprimer.

Malgré l’implication que l’on sent totale du réalisateur, certaines scènes, certains tournants du film, certains dialogues ne peuvent empêcher de provoquer des rires dans la salle, comme cette scène où J.M. couche avec une énorme Congolaise dans un hôtel où ce passage où un prêtre, qui a bien voulu racheter ses barils d’essence à Riva, est assassiné arbitrairement par un truand angolais, sous prétexte qu’il aurait dû savoir d’où venait cette essence, à qui elle appartenait vraiment.

Mais ne retenir que ces passages, ce serait faire injuste aux qualités intrinsèques du film, à sa capacité, d’une part, à rendre tangible, palpable, la tension permanente qui règne à Kinshasa, ville au bord de l’asphyxie et de l’explosion, d’autre part à décrire sans fard la corruption générale qui gangrène la capitale congolaise.

Si certaines scènes, dans « l’amateurisme » du jeu (le truand angolais), le kitsch des dialogues et de la mise en scène (dû au manque de moyens) font sourire, cela contraste avec la violence générale que le film dégage. Une violence qui contraste aussi avec la légèreté apparente et la bonne humeur de Riva.

On pense notamment à ce passage où le petit ami de Nora, qui passe ses journées à regarder des pornos, se fait froidement assassiner (après avoir été battu) d’une balle dans la tête ou cette scène où J.M. s’en prend violemment à sa femme et se met à la battre devant ses enfants (qu’ils traitent d’ « imbéciles » et de « bons à rien ») en oubliant ses dérives avec des prostituées à l’hôtel…

Quant à Riva, il n’est pas mieux que les autres. Personnage décomplexé (mais aussi uniquement intéressé) par l’argent, c’est un anti-héros par excellence. Le premier par qui le mal arrive. Traumatisé par un drame dans son enfance, Riva n’est pas pourtant pas dépourvu de morale ni de sentiments pour ses parents à qui il souhaite donner de l’argent comme à un enfant qu’il a pris en affection. Mais devant le rejet voire le dégoût de ces derniers pour ses actions et ses activités qu’ils jugent viles, Riva semble n’avoir plus aucun échappatoire, condamné à errer, à l’image d’une ville et d’un pays en perdition qu’il incarne.

Ce portrait sombre de Kinshasa, lieu de perversion et de malheur, n’est-il pas une métaphore de l’Enfer ? Filmée comme un personnage à part entière, la capitale congolaise fait en tout cas froid dans le dos…

http://www.youtube.com/watch?v=aaIEOhgDcpg

Film congolais (République démocratique du Congo) de Djo Tunda Wa Munga avec Patsha Bay Mukuna, Manie Malone (01 heure 38).

Scénario de Djo Tunda Wa Munga :

Mise en scène : 

Acteurs : 

Dialogues :

Compositions de Louis Vyncke :