Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 35. de la suralimentation forcée ...

Publié le 26 avril 2012 par Rl1948

    

   Heureux de vous retrouver tous, amis lecteurs, fidèles à ce rendez-vous exceptionnellement proposé ce jeudi. J'espère sincèrement que les quelques bulles de Champagne qui ont acompagné notre petite fête de mardi ne vous auront pas fait oublier que samedi dernier, prenant prétexte du fragment E 25519 exposé ici devant nous dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre et en guise de prémices à l'intervention de ce matin, j'avais cru bon de distinguer les deux types de basses-cours qu'à l'Antiquité, à tout le moins au temps de l'Ancien Empire, les Égyptiens aisés disposaient au sein de leurs domaines ruraux : les herout dans lesquels évoluaient volailles et volatiles en semi-liberté autour d'un plan d'eau reconstituant vraisemblablement le biotope des marais nilotiques, et les chétébou, qu'il vous faut comprendre comme étant plus spécifiquement des lieux dévolus à l'engraissement.

   Lors de cette rencontre, j'avais aussi d'emblée plus particulièrement mis l'accent sur l'oie, laissant sous-entendre que de suralimentation forcée il serait question très prochainement ; aujourd'hui, en l'occurrence.

   Parce que, plumées ou troussées, elles sont fréquemment représentées sur les tables d'offrandes mises au jour dans les mastabas d'Ancien Empire ; ou prêtes à rôtir comme ces quatre modèles que nous découvrirons un jour sur le sol de la vitrine 6, un peu plus loin dans cette même salle,

il est indéniable que les appréciant de leur vivant, à l'instar de quelques autres volailles d'ailleurs - souvenez-vous de ces scènes de chasse dans les marais, de ces filets hexagonaux dont ils se servaient pour les capturer ; souvenez-vous aussi de ces théories de porteuses et porteurs d'offrandes croisés ici ou à l'automne 2008 chez Akhethetep ; souvenez-vous enfin des nombreuses scènes d'élevage que j'évoquai dernièrement -, les Égyptiens désirèrent s'assurer de leur présence dans l'Au-delà : la "pancarte" du mastaba de Ptahhotep ne stipule-telle pas l'apport de 121 200 oies ro et, dans les mêmes proportions, d'oies tcherep ?

Et comme si cela ne suffisait pas encore, ajoute 11 100 oies semen !

     C'est que que prouve également cette scène, dans la tombe de Nakht que vous retncontrerez sur l'excellent site d'OsirisNet

où, après la capture, oies et canards sont préparés avant d'être rôtis : il appert en effet que, plutôt que bouillis, c'est ainsi que l'on préférait déguster les dodus volatiles.

Comme ici, dans la tombe d'Antefoker, étudiée sur OsirisNet à nouveau.

   Loin de tout anachronisme incongru, j'ai la nette conviction que ces brasiers de plein air peints ou gravés dans certaines tombes du Nouvel Empire autour desquels s'affairaient des hommes rôtissant d'une main une oie embrochée et de l'autre agitant une sorte d'éventail en vue d'attiser les braises, constituent, mutatis mutandis, les ancêtres de nos modernes barbecues.

   Les égyptologues relèvent cinq catégories d'oies différentes évoluant sur les rives du Nil antique : aux trois que je citai à l'instant, il vous faut encore ajouter les oies serou et geb.

   L'engraissement de tous ces volatiles - j'entends également associer, pigeons, canards et grues ! -, fut donc essentiel pour la cuisine égyptienne, toutes catégories sociales confondues.

   Parce que vous et moi n'avons point trouvé traces de cette pratique ni dans le mataba d'Akhethetep ni dans celui d'Ounsou visités jadis dans les salles précédentes, pour compenser l'incomplétude de l'éclat provenant de chez Metchetchi, c'est à nouveau dans le tombeau de Ty qu'il m'agréerait de vous emmener aujourd'hui grâce, toujours, à OsirisNet.

(Merci à toi, Thierry, pour tous ces documents dont chaque fois tu m'autorises l'emprunt.)

   Sur la paroi sud du portique, à gauche de l'entrée, cinq scènes successives ressortissant au domaine de l'engraissement gravées au registre central vous permettront donc de mieux comprendre l'ensemble des étapes dont le fragment de Metchetchi ne nous fournit qu'une bien infime partie : le gavage proprement dit.

   Dans un premier temps, nécessité s'imposait de préparer ce avec quoi les bêtes allaient être nourries : pour ce faire, il convenait de cuire, dans une marmite, de la pâte à pains à partir de laquelle les pâtons seraient modelés. Un homme avait pour mission de régulièrement touiller l'ensemble à l'aide d'un bâton. 

   La pâte refroidie, un autre roulait des portions entre ses mains aux fins de leur donner la forme d'une petite saucisse qu'il rangeait alors dans des récipients qui pouvaient différer d'un mastaba à un autre : souvent, c'étaient des assiettes plates aux bords légèrement relevés soit munies de petits pieds, soit posées sur un seul dont la hauteur était également variable suivant les tombes.

   D'un côté de ce plat donc, un personnage accroupi qui prépare la nourriture et de l'autre, celui qui l'introduira dans le gosier du volatile.

   A gauche, un homme assiste debout à l'opération : dans cette même attitude, vous pourriez sans peine imaginer notre Metchetchi ...

   Il arrive de trouver, dans l'entourage immédiat de ces préparateurs affairés, quelques vases coniques remplis d'eau prévue tant pour humecter les pâtons que pour régulièrement désaltérer les bêtes.

     Parfois, comme dans le mastaba de Mererouka, l'artiste s'est offert le luxe de rompre la "monotonie" de la scène en représentant une oie qui, impatiente, voire peut-être plus individualiste que ses congénères, se sert elle-même dans le plateau à provisions.

 

   Que ce soit pour le gavage des grues ou celui des oies, des inscriptions hiéroglyphiques précisent les phases successives du processus : Cuire le pain et le préparer en boulettes, lit-on chez l'un ; Préparer des boulettes de pain pour le nourricier des oiseaux, trouve-t-on chez un autre.

   Engraisser, gaver, constituent des annotations souvent répétées, avant de mentionner, in fine : Promener canards et oies blanches après le repas.

   Cette sortie "digestive" terminée, les volatiles plus que rassasiés réintégraient leur étroite cabane de manière à s'engraisser jusqu'au prochain "repas" ...

     Mais pourquoi semblable pratique généralisée, me demanderez-vous ?

     Au risque de contredire certains d'entre vous, je me dois de préciser que rien, absolument rien dans le corpus des inscriptions hiéroglyphiques traduites à ce jour ne permet de déceler la moindre trace d'une quelconque tradition de cuisiner le foie gras.

   En fonction des connaissances actuelles, il semblerait même qu'après avoir été vidés et préparés pour la table, les animaux recouvraient coeur, gésier et foie, tout naturellement replacés dans leur corps.

   Et donc que cette suralimentation forcée apparue sur les rives du Nil voilà près de 4000 ans n'avait vraisemblablement d'autre raison d'être que le seul plaisir de déguster des volailles bien dodues !

   Réel topos des programmes iconographique et épigraphique des sépultures memphites de l'Ancien Empire, se raréfiant déjà fortement au Moyen Empire, la scène du gavage proprement dit disparaîtra complètement à partir de la XVIIIème dynastie : sachez toutefois qu'il ne vous faut pas y voir preuve de cessation de la pratique en elle-même, mais plus simplement suppression de cette thématique dans le chef des artistes ou, plutôt, dans celui des défunts qui décidaient des sujets à représenter sur les parois de leur maison d'éternité ...   

(Montet : 1925, 114 ; Peters-Destéract : 2005, 76-7 et 225-6 ; Vandier : 1969, 83-6 ; 410-8 ; 445)