J-6: Sarkozy veut nous convaincre qu'il n'a pas changé

Publié le 30 avril 2012 par Juan
Samedi, l'équipe Sarkozy avait très mal pris la révélation par Mediapart d'un courrier du patron des services secrets libyens, en 2006, confirmant le versement de 50 millions d'euros à la campagne de Nicolas Sarkozy. Interrogé sur CANAL+, le candidat sortant qualifia l'information d'infamie.
Mais le candidat sortant était tout autant inquiet de son propre virage frontiste. Il fallait convaincre les centristes de l'UMP qu'il n'avait pas viré mariniste. 


Toujours hargneux
Samedi, il était à Clermont-Ferrand, chez son ami Brice Hortefeux. Il était venu « sans discours », parce que « je suis venu vous parler, je suis  venu pour partager avec vous les valeurs qui sont les nôtres ». Il lisait quand même son texte. Il voulait nous convaincre qu'il n'avait pas changé, qu'il ne courait pas après Marine Le Pen. Mais il était toujours hargneux, haineux même qu'on l'ait critiqué sa campagne si « Buissonnienne »:
« D’abord je voudrais envoyer un petit message à tous ceux qui nous aiment tant, vous avez compris ? Ceux qui savent tout et ne connaissent rien, ceux qui parlent de la démocratie et ne la respectent jamais, ceux qui disent qu’ils sont généreux, qui donnent des leçons mais qui mettent leurs enfants dans les écoles où il n’y a pas de problèmes et qui habitent au boulevard Saint-Germain, dans un quartier où on n’a pas de problème.»
Il répéta son mensonge sur le soutien, prétendu mais inexistant, de Tariq Ramadan à François Hollande, ou l'appel, prétendu mais inexistant, de 700 mosquées à voter Hollande. Samedi, il alla un cran plus loin, invitant DSK dans son discours. La perche avait été tendue un peu plus tôt par l'ancien patron du FMI. Et Sarkozy la saisit avec une gourmandise non feinte.
DSK s'était invité tout seul dans la campagne. The Guardian avait publié des extraits d'un livre à paraître sur l'affaire éponyme, samedi. A quelques jours du second tour. On s'en fichait et le camp Hollande n'appréciait pas. Sarkozy, qui avait placé DSK au FMI en 2007, prit cela pour du pain béni:  « Mes chers amis, on n’avait rien vu, car aujourd’hui un renfort de poids s’est manifesté en faveur de François Hollande qui a appelé à la rescousse une caution morale de poids, Dominique Strauss-Kahn. Il ne manquait plus que lui et la famille est complète
Le mensonge était aussi gros que l'outrance. Il était même stupide d'imaginer une seule seconde que François Hollande ait eu envie, à fortiori réclamé, du soutien de DSK. A l'inverse, le lendemain sur CANAL+, le leader socialiste eut des termes sans appel: « DSK n'a pas à revenir dans la campagne présidentielle. Il n'est plus dans la vie politique.»
A Clermont, Sarkozy fustigea « les grands censeurs », « les donneurs de leçons ». Il prétendit n'avoir pas changé une ligne de sa lettre aux Français, ni proposé « une seule proposition nouvelle » depuis le second tour. C'était faux. Il accusa encore Hollande de vouloir « faire les poches » à tous ceux qui gagnent « plus de 4.000 € par mois », « faire les poches de celui qui a travaillé et qui a plus que vous ».
Il réclamait le droit de parler laïcité ou immigration. Qui l'en empêchait ? On s'étonnait qu'il ne parle que de cela. Pourquoi évitait-il la dette, le pouvoir d'achat, la désertification médicale, ou le travail précaire ? Il s'énervait, en public et en fanfare, contre un antisarkozysme qu'il faisait mine de découvrir.
A Clermont, Sarkozy entama un léger virage. Il fallait séduire le centre. Cette dernière semaine écoulée avait été trop violente. A mi-discours, il changea de registre: « je sais d’où je viens, je déteste le racisme, je déteste le sectarisme, je déteste la France repliée sur elle-même, je plaide pour la France forte, pas pour la France faible, je déteste la haine de l’autre, je déteste désigner un bouc-émissaire, je déteste l’homophobie, je déteste tout ce qui exclut, tout ce qui avilie, tout ce qui injurie, je déteste cela au plus profond de moi-même ».
Le président zig-zag voulait convaincre les centristes qu'il avait raison de parler d'immigration comme Marine Le Pen: « nous avons accueilli plus de monde que nous ne pouvions en intégrer.» Il oubliait, comme toujours, qui gouvernait depuis 10 ans. Il se permettait, comme toujours, quelques saillies dignes d'un meeting FN, comme celle-ci qui ravivait le cliché d'une immigration profiteuse de notre Sécurité sociale: « Je ne peux pas accepter – dans la situation économique, fiscale, sociale de la France – une immigration qui ne serait motivée que par le seul attrait de prestations sociales parmi les plus généreuses d’Europe. Qu’y a-t-il d’antirépublicain à cela ? » Qui y avait-il de républicain à ne jamais parler des bénéfices, notamment économiques, de l'immigration ? Qui y avait-il de républicain à énumérer de pareils mensonges sur les positions de son rival ? Qui y avait-il de républicain à refuser le débat sur son bilan ?
Toujours glacé
Dimanche matin, Nicolas Sarkozy fut interrogé par Anne-Sophie Lapix sur CANAL+. son rival socialiste le suivait de peu. Les deux avaient une quinzaine de minutes. Sarkozy s'amusa de ne pouvoir que croiser son opposant. Il tentait surtout de corriger le tir, après une semaine marquée par une course à l'extrême droite.
Anne-Sophie Lapix: Nicolas Sarkozy, bonjour. 
Nicolas Sarkozy:  Merci de m'avoir invité. La première fois depuis 5 ans.
(...)

Lapix:  Est-ce que le FN fait partie de la grande famille de la droite ?
Sarkozy: Non. 
Il répondit vite. Il avait décidé, ce dimanche, de rééquilibrer son discours. Les outrances xénophobes de la semaine dernière ont effrayé certains de son camp. « Le score de Front national ne réjouit personne. » Sarkozy cherchait les centristes. « A votre question Est-ce que la famille Le Pen fait partie de la famille de la droite et du centre, la réponse est Non.» Il était prêt à tout donner, et dans tous les sens: « Le droit du sol, c'est la France ». Ou encore: « Je suis pour la France Forte, une France qui accueille ». Qui accueille qui ? Et comment ? A la question de l'attitude de l'UMP en cas de duel FN/PS aux prochaines élections législatives, Sarkozy esquiva. Il ne répondait pas: « La question ne se posera pas
Anne-Sophie Lapix eut cette question cruelle: « Vous avez annoncé un rassemblement le 1er mai sur le Vrai travail. Est-ce que vous allez rendre hommage à Jeanne d'Arc? » Il s'indigna qu'on l'accuse de courir après Le Pen: « l'immigration, on n'a pas le droit d'en parler ? » Il démentit aussi toute désunion au sein de l'UMP: «Jamais la droite républicaine et le centre n'ont jamais été aussi unis ».
Contre Hollande, l'élément de langage, déjà relayé par ses partisans pour cette dernière ligne droite, était d'accuser son rival de mener la France à la faillite. On se souvient du slogan du syndicat d'extrême droite UNI: « Je ne connais pas un Français qui veut que la France devienne la Grèce ou l'Espagne
La journaliste osa quelques questions sur la dernière révélation du journal Mediapart. Sarkozy était figé. Il s'y attendait.  « C'est une infamie. (...) C'est un montage. Mediapart est coutumier du mensonge. C'est une officine au service de la gauche ». L'accusation est grave. Et il rappela qu'il n'avait accueilli le colonel Kadhafi en décembre 2007 qu'à cause de la libération des infirmières bulgares au mois de juillet précédent. Il avait raison, personne ne le conteste. Il oubliait juste le contrat Amesys, c'est à dire la livraison d'un terrifiant système d'espionnage - formation des personnels incluses - pour traquer les dissidents. Un peu plus tard, le destinataire du courrier libyen, Bachir Saleh, récusa avoir jamais reçu la dite lettre. Mais on apprenait qu'il vivait en France, sous protection policière. Il était pourtant recherché par Interpol. L'AFP, qui rapporta l'information après le Canard Enchaîné, allait-elle être qualifiée d' « officine de la gauche » également ?
Dans quel pays vivions-nous ?
Toujours répétitif
En début d'après-midi, Nicolas Sarkozy était partout, à Toulouse mais aussi retransmis dans six autres villes où un ténor du parti tenait meeting: François Fillon à Metz; Bruno Le Maire à Rennes; Alain Juppé à Lyon; Nadine Morado à Limoges; Jean-Francois Copé à Marq-en-Baroeul; Xavier Bertrand à Orléans. Le candidat du peuple faisait campagne par faisceau satellite. Certaines salles étaient quasiment vides.
A Toulouse, Sarkozy voulait aussi convaincre qu'il n'avait pas changé, qu'il était encore « républicain », capable de rassembler plus loin que les rives du front national.
Il mentionna son « nouveau projet pour la France ». Quel était-il ? Son programme, récemment publié, était très vague. Il promettait aucune hausse d'impôts pour les ménages, mais 45 milliards avaient déjà été votées par son précédent gouvernement. De réformes de structure, il n'avait rien promis. Simplement une longue litanie de rappel à la « frontière », quelques menaces contre l'Europe ou les exilés fiscaux. A Toulouse, il continua, cela devenait répétitif: « En 2012, le sujet majeur, c'est les frontières » ou encore: «J'ai levé le tabou des frontières ».
A Toulouse, Sarkozy n'avait finalement pas changé. Il voulait, il devait faire peur et continuer de caricaturer son adversaire: « Le 1er mai, François Hollande défilera derrière les drapeaux rouges de la CGT. Et moi, je parlerai à vous devant une marée de drapeaux tricolores !» Il continua de fustiger la « pensée unique », les « experts », les « commentateurs ».
«Dans la tempête, est-ce qu'ils voudront changer de capitaine ? » conclua-t-il sur France 2, en fin de journée.
Avait-il seulement été seulement capitaine ?