Le Grand Débat: Sarko rate son oral.

Publié le 03 mai 2012 par Juan
Il a donc eu lieu, le Grand Débat. Nicolas Sarkozy en voulait trois. Il fut KO en un seul, un unique, un mercredi pluvieux de l'entre-deux tours. C'en fut surprenant. Il semblait dans sa bulle, comme hors sol. Il s'imaginer « éclater » son rival Hollande jugé trop mou, il se heurta à un roc.
Le plus curieux fut qu'il s'enferma lui-même dans une nasse dès les premières minutes du débat. Le Superman de 2007 était devenu un Caliméro sans proposition.
Incroyable suspense
On nous avait promis « un débat sous très haute tension » (Les Echos), «l'heure du face-à-face‎ » (Le Point), « Hollande et Sarkozy prêts à monter sur le ring » (L'Express).
Vingt millions de téléspectateurs rivés devant leur poste seraient là pour voir les deux impétrants, François Hollande et Nicolas Sarkozy, se livrer l'ultime bataille verbale.
Comme souvent pour ces occasions, les détails les plus futiles des préparatifs avaient été répétés et rabâchés. Toute la journée durant, chaînes et radio d'information rediffusèrent des extraits du précédent débat opposant Ségolène Royal à Nicolas Sarkozy. A l'époque déjà, le 2 mai 2007, les sondages donnaient Sarkozy victorieux à 53% contre 47%. Cette fois-ci, l'électorat était jugé plus volatile. Sur iTélé ou BFM TV, on pouvait même voir des images sans grand intérêt de la salle de débat en cours de préparation, des hommes de ménage s'affairant pour nettoyer un plateau d'aspect si sobre qu'il en était sinistre.
Nicolas Sarkozy s'était reposé, paraît-il. Dans la journée, Jean-Louis Borloo, qui avait finalement boudé le meeting sarkozyen du 1er mai dans le XVIème arrondissement de Paris, publia une lettre ouverte à François Bayrou où il enjoignait le leader centriste de rejoindre Nicolas Sarkozy. C'était drôle. Le contre-feu était trop gros. Depuis le matin même, Gérard Longuet faisait l'actualité. Dans un entretien au magazine de sa jeunesse, Minute, il qualifia Marine Le Pen d'interlocutrice valable. L'homme se prit le feu jusque dans son propre camp. Même François Fillon prit ses distances.
Dès le début...
A 21 heures pétantes, nous y étions. Evidemment, la première question fut sur leur « état d'esprit ». Une question sans intérêt, mais il fallait se chauffer. Dès la première minute de son intervention, Sarkozy sauta contre son rival. Plutôt que de profiter de son introduction, il était à l'attaque. Il dénonça les critiques qu'il subissait, et les ralliements, trop nombreux, à François Hollande. Paradoxalement, il voulait se poser en rassembleur, mais fustigeait en des termes violents ses contradicteurs.
Surtout, Nicolas Sarkozy récitait ses éléments de langage. On reconnaissait, dès les premières minutes, ces formules déjà entendues de multiples fois au cours des meetings de campagne.
Quand François Hollande l'attaqua sur la division du pays, les clivages, il répliqua que la preuve de sa capacité de rassemblement était ... l'absence de violences pendant 5 ans. On se pinçait. L'absence d'émeutes valait-il approbation et référendum populaire ? Piqué au vif, Sarkozy se mit à énumérer toute la France rassemblée... contre lui.
Il était Calimero, il était en défense, en grande défense. « Monsieur Sarkozy, vous aurez du mal à passer pour une victime » lui rétorqua Hollande. Confronté à son bilan, le Monarque s'excusa de la Grande Crise, s'exonéra des grandes difficultés, plaida l'apprentissage, dénonça les cas de la Grèce et de l'Espagne (que personne ne prenait en exemple!). Il tenta de contester les chiffres, puis céda.
Pire, il lisait ses fiches. Hollande eut une première formule qui fâcha: « Avec vous, c'est très simple. ce n'est jamais de votre faute.» Sarkozy bredouilla quand son contradicteur lui demanda un peu moins d'invectives. « Mais j'ai toujours assumé mes responsabilités ». Il accusa encore Hollande de mensonge, mais se piégea:
Sarkozy: C'est un mensonge
Hollande: Lequel ?
Sarkozy: C'est un mensonge
Hollande: Lequel ?Sarkozy: Quand vous dites que quoiqu'il arrive, je suis content
Hollande: Ah bon, parfois, vous n'êtes pas content de vous ?
Sur son bilan, il fut avare de détails. 180 millions d'heures supplémentaires malgré la crise ! « 9 millions de salariés ont touché des heures sup' malgré la crise l'an dernier ». Que lui restait-il ? Hollande rappela que le relèvement de la TVA promis pour octobre pèsera pour 320 euros par an et par ménage. Les deux s'échangeaient
Sarko se croyait en meeting
Au bout de 45 minutes, l'exercice devint incroyable et imprévu. Nicolas Sarkozy répétait, quasiment mot pour mot, les caricatures qu'il ressassait sans contradicteur depuis des semaines. Mais c'est fois-ci le contradicteur était devant lui. François Hollande lui répondit, rapidement, clairement, justement. Sarkozy conservait un regard effaré, presque perdu. C'était tristement décevant.
« La meilleure économie d'énergie, c'est l'économie d'énergie ! »
Il cria encore « Vous Mentez ! C'est une calomnie ! ». « Vous n'êtes pas capable de tenir un raisonnement sans terminer par une invective » lui rétorqua Hollande.
Quand ce dernier pointa le bouclier fiscal, « dont vous connaissez les bénéficiaires, ce sont vos proches », Nicolas Sarkozy s'empourpra. « Lesquels, M'sieur Hollande ?!? Lesquels ?!? » Hollande cita Liliane Bettencourt. Sarkozy enchaîna sur Mathieu Pigasse. Trahissait-il un secret fiscal? Il bâtit en retraite: « Euh... non, non... »
« Monsieur Hollande, je n'ai pas à répondre à votre question » s'agaça-t-il quand Hollande lui demanda de combien les prélèvements obligatoire avaient augmenté en 5 ans. Ces derniers avaient cru de près de 2 points en un quinquennat. Sarkozy lisait ses fiches. Il ré-attaqua sur les 60.000 postes dans l'Education que son rival projetait de créer en 5 ans. Mais il trébucha sur le taux d'encadrement dans le primaire qui, contrairement à ses dires, restait le plus bas dans l'OCDE. « Vous avez vous-même supprimé la formation des enseignants » Sarkozy toussait.
Et son programme ?
Ce fut la seconde surprise de la soirée. Non seulement Nicolas Sarkozy maitrisait mal ses nerfs, mais il défendit très peu son programme. Le débat s'installa sur les idées et les réponses de François Hollande. Sarkozy n'avait pas perdu la main, il ne l'avait jamais eu.
« Connaissez-vous beaucoup de travailleurs qui sont prêts à travailler 50% de plus pour être payé 25% de plus ? » demanda Hollande. Sarkozy répondit qu'il pensait que ces heures sup, dédiées à l'encadrement d'un élève, valaient moins de salaires car l'enseignement était personnalisé et non collectif. Les enseignants apprécieront.
Sur les déficits et la dette, Sarkozy s'abrita derrière les contre-exemples de la Grèce et de l'Espagne: « Nous empruntons à moins de 3%. L'Espagne à plus du double ». La France, expliqua-t-il, ne serait pas dégradée. Puis il s'aventura à justifier qu'il avait déjà tout fait en matière de politique européenne, taxe sur les transactions internationales, etc...
« Vous avez supprimé l'impôt de Bourse, et vous l'avez rétabli, c'est tout » corrigea Hollande.
Sarkozy eut quelques formules quasiment magiques: « nous avons sauvé la Grèce de la disparition ». Les Grecs apprécieront. Quand il fut questionné sur ses compromis avec l'Allemagne, il s'énerva. Hollande dut rappeler que l'ancien premier ministre Papandreou héritait de la gestion d'un gouvernement conservateur. 
Plus d'une heure et demi avaient été consacrée à l'économie. C'en était trop pour les deux journalistes-animateurs et Nicolas Sarkozy, exténué.
Sarkozy finit confus
Immigration, il était 22h36 quand le sujet était enfin abordé. David Pujadas n'attendait visiblement que cela. Combien fallait-il d'immigrés ? « Aujourd'hui, quelqu'un qui arrive en France, on le met en rétention pour voir s'il correspond à un critère de régularisation ».Quelle formule incroyable! Sarkozy entretenait la confusion sur l'immigration légale et illégale. Hollande lui fit remarquer. Il garda pour la fin qu'il souhaitait rester à 180.000 immigrés légaux par an. Il précisa combien Sarkozy avait été incapable de tenir ses propres objectifs d'immigration économique.
Quand Hollande l'interrogea sur une éventuelle phobie anti-Islam, Sarkozy s'énerva encore. Bien sûr qu'il visait les Musulmans ! Mais comment faire le tri entre les étra,gers ? Sarkozy ne répondit pas.
Sur l'énergie, Sarkozy mentit en expliquant qu'autant d'investissement avait été consacré aux énergies renouvelables qu'au nucléaire. C'était faux.  Fessenheim, la centrale la plus vieille de France, située sur une zone sismique, près d'un canal, restait « sans danger » selon le Monarque. Tant qu'il n'y avait pas d'accident, tout allait bien. Il refusait d'entendre les arguments de son contradicteur. Fessenheim est la plus vieille centrale, et les travaux de prolongation sont hors de prix. Sarkozy resta sur le terrain de la caricature: si le nucléaire c'est dangereux, il faut tout fermer. Pourquoi refuser d'écouter ?
« Le nucléaire ne pose aucun problème de sécurité en France » asséna-t-il. Fukushima, « c'est un problème de tsunami ».
Le coup de grâce
Il était 23h18 quand François Hollande énuméra sa vision de la présidence de la République. Il énonça, en quelques et nombreux exemples, ce qu'allait être une République irréprochable, une vraie. Attaqué sur les réunions de donateurs UMP, Sarkozy nia être allé à l'hôtel Bristol rencontrer des militants UMP du Premier Cercle. C'était ballot, nous avions les photos. Attaqué sur ses réunions UMP à l'Elysée, il se défendit maladroitement. « Pas que mon parti, y avait les centristes! » s'excusa-t-il. Attaqué sur sa présidence partisane, il énuméra les quelques nominations qu'il considérait irréprochables. Il renvoyait surtout, sans cesse et sans limite, François Hollande à François Mitterrand.
Sarkozy avait des références du passé pour cacher son passif.
Hollande le mitrailla d'exemples. Sarkozy bafouilla: « Vous êtes un petit calomniateur en disant cela ! » Il dérapait et perdait contrôle. « Monsieur Hollande, je n'accepte pas de leçon d'un parti qui a voulu se rassembler derrière Dominique Strauss-Kahn » lâcha-t-il, à bout de nerfs. « Je me doutais que vous y viendriez » répondit Hollande.
Sur Twitter, quelques journalistes politiques confiaient leur désarroi devant un tel naufrage. Sur Europe1, quelques minutes plus tard, Catherine Nay avoua « j'ai été déçu par sa prestation. »
La séquence internationale qui suivit fut à peine plus calme. Sarkozy tenta d'accuser Hollande de sacrifier la sécurité des soldats français. Son rival lui répondit que cette accusation était infondée.
Sarkozy, KO assis.
Au final, que retenir?
Primo, Nicolas Sarkozy commit une grosse erreur, si grossière qu'elle ne lui ressemblait pas: il avait cru que répéter ses caricatures de meetings feraient l'affaire dans un tel débat. Il fut défoncé. Il n'avait pas anticipé que François Hollande avait des arguments étayés, des propositions réfléchies. Ce mercredi soir, l'outrance du clan sarkozyen contre Hollande depuis des mois a fait pschitt. C'était la preuve d'une erreur d'appréciation majeure sur son rival. Et pourtant, Hollande était en campagne depuis un an. Que n'avait-il eu le temps de l'étudier !
Secundo, Nicolas Sarkozy s'est montré incroyablement hargneux, de plus en plus hargneux. Ce soir, il multiplia les invectives. le moindre argument contre son rival en fut pollué, quand Hollande restait zen et calme: « calomnies », « mensonges », « vendu », « misérable », « petit calomniateur ». Le point Godwin fut atteint quand, acculé sur la République irréprochable, NS sortit le nom de DSK.
Tertio, Nicolas Sarkozy n'a jamais réussi à placer le débat sur son terrain. Son propre programme, déjà maigre, fut complètement occulté. Son propre bilan, quoique lourd, fut épinglé, échec après échec. Et jamais Sarkozy ne réussit à s'en sortir. Il pensait affaiblir son adversaire, il n'y parvint pas.
Il avait perdu toute stature présidentielle.
Il était minuit passé d'une minute quand le débat s'arrêta. Quinze minutes plus tard, Nicolas filait en voiture avec Carla dormir Villa Montmorency.