L’hyper-jeu-vidéo

Publié le 03 mai 2012 par Plugingeneration @Plug_Generation

Par Plugger Master

L'hyper-jeu-vidéo dans eXistenZ de Cronenberg 

Vous avez sans doute déjà vu les dernières pubs des jeux vidéo-blockbuster qui passent en ce moment sur le net, Youtube, Dailymotion etc. Et notamment celles de Battlefield 3SkyrimMass Effect 3Prototype 2. Vous aurez aussi peut être remarqué que toutes ces pubs pour des jeux vidéo (qu’on se le dise !) sont en fait réalisées comme des trailers pour blockbuster ! Il n’est plus question de mettre en avant les graphismes du jeu ou le gameplay dans une bande-annonce époustouflante, non ce temps est fini. Cette reprise de la réalité pour présenter un jeu vidéo veut dire tout autre chose. Cela veut dire que les jeux actuels (en tout cas ces jeux-blockbusters) prétendent de facto que le jeu est théoriquement aussi réel que la réalité elle même. Grosse ambition. Vous me direz que tous les jeux ont toujours cherché à imiter ou ressembler le plus possible à la réalité. Faux. Rappelez vous le "bon temps" de la Nintendo 64 et de la Dreamcast, les jeux ne voulaient en aucun cas ressembler à la réalité. Mais alors en aucun cas. Le but était au contraire de faire fantasmer le joueur dans un univers complétement délirant, irréel et onirique. Il suffit de citer la saga MarioZeldaF-ZeroSoul CaliburStarfoxBomberman ou encore Shenmue, pour comprendre que ce n’était pas le cas. Même les premiers GTA n’avaient pas pour but d’imiter la réalité, vu de haut le jeu n’avait rien de similaire au réel, le 4 par contre me fait vraiment flipper par son réalisme…
Cette nouvelle mimèsis jusqu’alors non cherchée dans les jeux vidéo, semble être le paradigme des concepteurs de jeux actuels. Et si nous voulions en faire une épistémologie, nous pourrions postuler que ce paradigme a été initié par les consoles de Sony, la PS1, la 2 et aujourd’hui la 3. Les jeux développés ont longtemps étaient chez eux des jeux de la pure mimèsis. Non de la mimèsis narrative, c’est à dire un scénario proche de la réalité, mais une mimèsis graphique. Autrement dit s'approcher le plus possible de la réalité à travers des graphismes hyper réels. Cette tendance initiée par les jeux Sony, est aujourd’hui à l’œuvre dans la plupart des blockbusters. Et aujourd’hui la XBOX fait de même. Il ne reste plus que Nintendo avec son étrange Wii, qui continue de persévérer dans sa théorie initiale du jeu vidéo onirique, aux univers fantasmés et déjantés.
Cette tendance à la mimèsis graphique était déjà présente dans un film malheureusement assez mal connu de Cronenberg,eXistenZ. Dans une imbrication de mondes parallèles qui n’a rien à envier au Inception de Nolan, Cronenberg nous livre un film qu’on pourrait dire prophétique, sur le désir toujours plus grand du monde des jeux vidéo de ressembler à la réalité. Il n’est pas question de jeux comme Second Life ou les Sims où le jeu veut coller à la réalité dans sa quotidienneté (d'ailleurs peut-on encore parler de jeux ?), mais de jeux où les graphismes seraient tout simplement ceux du réel. En gros, jouer Neo dansMatrix comme dans le film, mais vraiment comme dans le film. Vous êtes Neo.
Si ces jeux sont de véritables machines à mimèsis graphique, il n’est en aucun cas question de mimèsis narrative comme nous l’avons rapidement évoqué. Pas question d’avoir une histoire morne de la vie de tous les jours, pas question non plus de parler de principe de réalité au sens Freudien du terme, c’est à dire « respecter le principe de réalité consiste à prendre en compte les exigences du monde réel, et les conséquences de ses actes ». Bien au contraire, c’est le principe de plaisir de l’hallucination et du rêve qui règne encore dans ces jeux (suffit de lire les synopsis des jeux comme Prototype 2 ou Skyrimpour le comprendre) ou de jouer à GTA...
Mais si les jeux vidéo actuels veulent imiter (on pourrait même dire incarner) le plus possible le réel, ce n’est pas la seule variable intéressante dans ce procédé. Ce qu’il est aussi remarquable de constater c’est qu’en fait bien loin d’imiter le réel, les jeux vidéo actuels imitent plutôt les films. Ils en reprennent tous les codes. Il suffit de voir les bandes annonces, qui comme je vous le disais en début d’article, ressemblent à celles des blockbusters comme The Avengers ou le prochainPromotheus de Ridley Scott. Pour ce qui est du jeu en lui même, jouez à Battlefield 3 ou au dernier Call of et vous comprendrez. Le jeu est un film tout simplement. Hyper scénarisé, une histoire complète, des personnages assez travaillés, un gameplay contrôlé (pour ressembler à un film il faut bien que votre personnage soit un minimum dirigé) on est dans unfilm, on est dans le film. En effet, Lipovetsky et Seroy montrent dans l'Ecran Global que les codes du cinéma tendent à se diffuser dans les autres médias tels que la publicité, l'affichage, la télé, et du coup on pourrait dès à présent y ajouter, les jeux vidéo. Ils parlent à ce propos d’hyper-cinéma, « hyper » qui se propage dans les codes des jeux vidéo pour finalement en faire un hyper-jeu-vidéo. Un jeu-vidéo qui serait profondément marqué par l'univers cinématographique. Attali, lui, parle dans un autre sens non pas d'avenir du jeu vidéo par le cinéma mais d’avenir du cinéma par le jeu vidéo (article ici). Ce basculement est intéressant, mais est ce l’avenir de l'auto-proclamé 10ème art ? Doit-il nécessairement ressembler au cinéma pour évoluer ? Ou doit-on au contraire continuer à innover dans des graphismes comme le cell shading pour nous faire vivre des expériences indépendantes de toutes mimèsis (graphique et narrative) ? Sony et Microsoft ont fait le pari de l’hyper-jeu-vidéo, Nintendo de l’auto-référentialité du jeu. Alea jacta est !