Pour en finir une bonne fois pour toutes avec le keynésianisme

Publié le 11 mai 2012 par Copeau @Contrepoints

Le quinquennat de M. Hollande a peu de chances d’être un « socialisme de l’excellence ». Loin de faire repartir la croissance, comme il nous l’a promis pendant la campagne, il risque à l’inverse d’aggraver les mêmes maux qui ont provoqué la crise de 2008.
Par Fabrice Descamps.

La semaine dernière, le très médiatique François Lenglet a rendu dans Le Point un vibrant hommage aux politiques keynésiennes que s’apprête à mener M. Hollande en appelant explicitement le futur président à convaincre ses homologues européens de laisser revenir l’inflation afin « d’euthanasier les rentiers » (sic), une formule déjà employée en son temps par John Maynard Keynes. Quelques jours plus tard, le dernier numéro de The Economist invitait le gouverneur de la Bundesbank, M. Weidmann, à accepter le retour d’un peu d’inflation dans son pays. On est vraiment surpris que des représentants d’un libéralisme assumé, comme M. Lenglet ou l’hebdomadaire anglais, se laissent aller à ce keynésianisme vulgaire.

Non seulement la médication conseillée par M. Lenglet est immorale, mais elle est inefficace.

Elle est d’abord immorale à deux titres. D’une part, les « rentiers » dont il parle sont en fait pour la plupart de braves gens des classes moyennes, comme vous et moi, qui ont investi dans des plans d’épargne-retraite par capitalisation. M. Lenglet recommande-t-il d’euthanasier les éboueurs retraités de Los Angeles qui ont leurs économies chez Calpers ? De plus, ces fameux « rentiers » dont il parle ne sont pas des « fainéants qui vivent sur le dos des travailleurs », mais au contraire des personnes qui ont fait un effort d’épargne louable pour fournir des capitaux aux entreprises qui en avaient besoin. Qu’y a-t-il de répréhensible à cela ? N’est-ce pas au contraire un choix hautement recommandable pour l’ensemble de l’économie et pour l’emploi desdits travailleurs ? Doit-on punir les investisseurs en les euthanasiant, un conseil suicidaire pour toute économie qui nécessite des capitaux ? Et qu’on ne vienne pas me jeter à la figure Mme Bettancourt et tous ses amis milliardaires ; certes, une grande partie de leurs revenus leur vient du rendement de leurs portefeuilles d’actions, mais l’utilité de tels portefeuilles n’est pas moindre que celle des plans d’épargne des éboueurs californiens car le fait que ces portefeuilles soient détenus par un seul ou par des milliers de porteurs ne change rien à l’affaire : ils prêtent de l’argent aux entreprises et doivent en conséquence en être récompensés.

Mais, qui plus est, une telle politique est totalement inefficace pour une raison que Jean-Marc Daniel a rappelée dans un ouvrage passé un peu inaperçu, oubli que je veux modestement contribuer à réparer dans le présent article. Peut-être le titre étrange du livre, Le Socialisme de l’excellence, a-t-il contribué à en freiner la diffusion. C’est bien dommage car Jean-Marc Daniel est, j’en suis presque certain, un des libéraux français les plus brillants et la vivacité de sa pensée économique n’est pas sans rappeler celle de Jacques Rueff. La détestation du keynésianisme leur est en tout cas commune et je regrette que l’anti-libéralisme grotesque qui règne dans notre pays n’aie pas donné à ces deux économistes toute la place qu’ils méritaient.

Or que nous rappelle M. Daniel ? Que, lorsque l’on fait marcher la planche à billet ou le déficit budgétaire, l’augmentation artificielle de la demande a deux conséquences alternatives : soit les capacités de production des entreprises sont sous-exploitées – du fait de la sévérité de la crise – auquel cas les entreprises pourront bien répondre à toute demande supplémentaire en faisant tourner des machines qui ne tournaient plus, soit ces capacités de production sont déjà employées auquel cas l’augmentation de la demande se traduira par une augmentation des prix des produits et donc par une inflation qui annihilera bientôt les gains en pouvoir d’achat des ménages sans affecter la production totale des entreprises.

Loin de répudier totalement Keynes, Jean-Marc Daniel fait simplement remarquer que les recettes keynésiennes ne marchent que dans les situations très spécifiques où l’appareil productif est en partie à l’arrêt, ce qui était le cas en 1929 mais ne l’était plus du tout pendant la crise de 2008. Autrement dit, le keynésianisme a bien fonctionné après 1929, mais il ne fonctionne pas avec la crise de 2008 dont la nature, fort différente de celle de 29, est illustrée par l’échec répété des politiques de quantitative easing orchestrées par la Fed.

Faute de partager le diagnostic de Jean-Marc Daniel, le quinquennat de M. Hollande a peu de chances d’être un « socialisme de l’excellence ». Loin de faire repartir la croissance, comme il nous l’a promis pendant la campagne, il risque à l’inverse d’aggraver les mêmes maux qui ont provoqué la crise de 2008.

Car qu’on ne s’y trompe pas, la crise de 2008 a été malencontreusement surnommée « crise des subprimes » alors que les subprimes n’en étaient que le symptôme et non la cause première. La crise de 2008 était en fait une crise des finances publiques des pays occidentaux, au premier chef les USA. Or que nous propose le brave docteur Hollande ? D’aggraver le mal en creusant un peu plus encore, si besoin était, les déficits des finances publiques.

Et par une ironie dont l’histoire a seule le secret, on a accusé ce pauvre libéralisme d’être l’instigateur de la crise alors que la plupart des libéraux, dont moi-même, sommes des partisans convaincus de l’orthodoxie budgétaire et monétaire. Quel a été le tort des libéraux dans toute cette affaire, car nous avons eu bien un ? C’est d’avoir imprudemment contribué à la diffusion de la crise en prônant une dérégulation bancaire trop hâtive et irréfléchie. Et comme cette crise est passée dans l’opinion sous le nom de « crise des subprimes », on a eu beau jeu alors de nous accuser de toutes les infamies.

Bien entendu, quand on relit l’article de François Lenglet, on doit reconnaître qu’il y a un fond de vrai dans son argumentaire : si une austérité budgétaire excessive plombe l’économie, le ralentissement de l’activité privera l’État d’une partie de ses recettes fiscales, aggravant un peu plus encore le mal qu’elle était censée guérir [1].

Tout le mérite du livre de Jean-Marc Daniel consiste précisément en ceci qu’il démontre comment faire revenir la croissance sans creuser les déficits par un keynésianisme débridé. C’est ce que des socialistes intelligents devraient vouloir pour leur pays car comment ne voient-ils pas que les « rentiers » seront bien difficiles à euthanasier si l’État doit compter sur eux pour acheter ses bons du Trésor ? Comment ne voient-ils pas qu’en ce moment même, les pauvres paient pour rembourser la dette d’un État à qui des « riches » ont prêté leur argent ? Comment ne voient-ils pas que plus personne ne voudra de leurs bons du Trésor si l’inflation revient ? C’est, je pense, la raison pour laquelle M. Daniel a appelé son livre Le Socialisme de l’excellence car il s’y est pris à rêver de l’avènement d’une gauche française intelligente. Cet utopiste n’a sûrement pas eu la chance d’avoir des parents communistes. Moi si. J’aime mes parents, mais je préférerais qu’on ne confiât pas à des gens qui pensent comme eux les destinées de mon pays… car j’aime mon pays aussi.

Alors comment faire revenir la croissance sans creuser la dette de l’État ? Eh bien, tout simplement comme on le fait depuis que l’humanité travaille et que des États existent : en augmentant la productivité du travail par l’investissement et l’innovation.

Jean-Marc Daniel liste, pp. 177-178 de son ouvrage, les mesures qu’il préconise. Je vous en cite quelques-unes en passant : « généralisation de la concurrence en liaison avec Bruxelles ; disparition des activités en monopole ; suppression des mécanismes de numerus clausus (taxis, pharmaciens…) ; contrat de travail unique et suppression du statut de la fonction publique ; flexibilité accrue sur le marché du travail ; privatisation des entreprises publiques restantes (SNCF, RATP, RTM – transports marseillais, EDF, la Poste …) ; privatisation de la Sécurité sociale ; privatisation de l’enseignement supérieur, etc. » [2].

N’en rajoutons plus, vous l’avez compris : le « socialisme de l’excellence », c’est le libéralisme.

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Sur le web.

Notes :

[1] C’est pourquoi M. Daniel préconise une « politique budgétaire en stabilisateurs automatiques », c’est-à-dire « l’équilibre budgétaire sur la durée moyenne du cycle ». Le principe en est simple : les taux de prélèvements sont maintenus constants pendant tout le cycle économique croissance-ralentissement-récession et les excédents budgétaires dégagés lors des deux premières phases du cycle permettent de laisser filer le déficit pendant la dernière mais avec un engagement de l’État de rembourser ses dettes lors des deux premières phases du cycle suivant. C’est ce que j’appellerais un « keynésianisme de l’excellence ».

[2] Jean-Marc Daniel prône également la suppression de l’impôt sur le revenu au titre d’une analyse subtile que je n’avais jamais lue ailleurs (p. 131) . Son argumentaire est le suivant : lorsque les gens négocient leurs salaires avec leur entreprise, ils parlent en salaire brut mais réfléchissent en net après impôts ; donc l’impôt progressif sur le revenu n’est pas un impôt sur les ménages mais sur les entreprises car les travailleurs très qualifiés vont utiliser, lors de la négociation de leur salaire, le rapport de force avantageux que leur octroie leurs aptitudes professionnelles rares pour exiger de l’entreprise un salaire brut calculé par rapport au net qu’ils veulent obtenir au final ; autrement dit, c’est l’entreprise qui paie la différence entre le net et le brut et plus le travailleur est qualifié, plus sa capacité de négociation lui permet de compenser la progressivité de l’impôt par une augmentation de son salaire brut, gommant ainsi le caractère redistributif de l’impôt progressif et, qui plus est, faisant payer cette progressivité par l’entreprise. La seule critique que l’on pourrait adresser au raisonnement de Jean-Marc Daniel a déjà été formulée par Raymond Boudon contre la flat tax : ce sont les classes moyennes qui, en volume total, assument la part la plus lourde des impôts ; la progressivité est donc le moyen le plus simple de leur faire accepter ce poids en exigeant des riches, dont la contribution aux recettes totales est plus faible, un effort individuel supérieur. M. Daniel, qui semble conscient du problème, propose donc de réformer mais de maintenir l’ISF. C’est astucieux.