Fable de Marie de France : La Chienne qui allait mettre bas

Par Unpeudetao

Je vous en conte ici le cas :
Une Chienne allait mettre bas.
Hélas, mais où trouver un abri
Pour mettre au monde ses petits ?
Elle pria une autre Chienne
De l’accueillir en son domaine
Jusqu’au temps de sa délivrance,
Lui promettant reconnaissance.
Priée, suppliée, implorée,
L’autre finit par l’héberger.
Puis, quand les Chiots eurent grandi
(Des Chiots forts beaux et dégourdis)
La maîtresse de ces parages
Vit qu’ils faisaient bien des ravages
Et leur enjoignit de partir…
Mais plus question de déguerpir !
L’autre se met à larmoyer :
Elle ne sait pas où aller,
C’est l’hiver, le froid est cruel,
En grande douleur mourra-t-elle ;
Elle la prie par charité
De l’héberger jusqu’à l’été.
Notre Chienne, émue, l’écouta :
C’est par pitié qu’elle céda.
Voyant le beau temps revenir,
Elle les pria de partir,
Mais l’autre se mit à jurer :
Qu’elle ose encore en reparler
Ses jeunes Chiens l’attaqueront,
La mordront et la chasseront,
Force et vigueur étaient pour eux :
Il lui fallut quitter les lieux.

Cet apologue nous apprend
Que l’on peut voir de braves gens,
Par pure bonté, d’un coeur sage,
Dépouillés de leur héritage :
Qui loge un homme sans aveu
Ne s’en défait pas quand il veut.

Marie de France (XII siècle).

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