Manipulation de l'opinion, ordre public et intelligence économique

Par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Existe-t-il des opérations d'influence de l'opinion susceptibles de nuire aux intérêts économiques stratégiques de la France et de troubler l'ordre public ? Les médecins disent que ''l'absence de preuve n'est pas la preuve de l'absence''. Or, la manipulation est un crime sans preuve mais pas sans trace. 

Manipuler l'opinion pour forcer les dirigeants des démocraties à prendre des décisions allant contre les intérêts supérieurs de la Nation a déjà été pratiqué par les régimes totalitaires. Leurs recettes restent d'actualité.

En effet, l'opinion publique est peu réceptive aux enjeux à long terme et internationaux. Elle se mobilise plus facilement pour ses conditions de vie immédiates. Ce qui facilite le travail de manipulation. 

Certains acteurs économiques, parfois étatiques mais surtout privés, mènent une lutte d'influence invisible pour l'homme de la rue. La forme ne pouvant qu'être indirecte, ils n'agissent que par des intermédiaires affichant des motivations louables.

L'opinion publique est manipulée, influencée, au nom de la bonne cause mais pour des intérêts strictement matériels.

La méthode est simple. Il suffit d'utiliser une peur viscérale, de l'adapter à un sujet actuel et même une diffusion à grande échelle ne laissera que des questions ou un faisceau d'indices mettant le manipulateur initial hors de toute accusation formelle.


Une peur ancestrale, un vieux mythe et de leur recyclage. 

En général, les gens sont suffisamment éduqués pour distinguer le vrai du faux mais la peur les empêche de penser. Conscient de ce fait, les manipulateurs utilisent cette peur. Par exemple : la peur de l'empoisonnement est une des plus vieilles de l'humanité et une des plus enracinée. Elle remonte probablement à la préhistoire. Le Moyen-âge a vu la propagation d'un mythe : entre 1348 et 1351, la rumeur voulait que la peste vienne des juifs qui empoisonnent les puits... des pogroms, des condamnations judiciaires s'en suivirent, malgré la bulle du Pape Clément VI, de juillet 1348, sur la fausseté de l'accusation. 

Aujourd'hui, on retrouve le même phénomène. En premier lieu, il a donc la peur. Ainsi, par exemple, l'inquiétude sur le fait que la nourriture, l'air ou l'eau seraient susceptibles d'être contaminés par les nouvelles technologies générant cancers, tumeurs, etc. Ces maladies graves nous effrayent tout autant que la peste au Moyen-âge effrayait nos ancêtres.

Ensuite, il y a le poison. Au Moyen-âge, il était indécelable pour le commun des mortels comme la radioactivité, l'ADN et les nano-éléments le sont pour nous.

Enfin, il faut un bouc émissaire. Au Moyen âge, les juifs étaient accusés de tous les maux. Aujourd'hui, les banques, la finance et les États-Unis sont les principales cibles. On peut noter au passage que l'anti-américanisme est considéré par certains penseurs comme un succédané de l'antisémitisme et remarquer que les discours des extrémistes associent couramment juifs et Américains. 

En second lieu, il faut diffuser cette peur. Pour cela, plusieurs vecteurs sont disponibles.

D'abord, il y a la presse, toujours à la recherche de données pouvant alerter le public. C'est certes son devoir, mais les alertes se valent-elles toutes ?

Ensuite, il y a le militantisme radical, radicalité de posture qui permet de s'acheter à bon compte une place de ''saint laïc''.

Enfin, le démultiplicateur suprême a été créé avec l'internet. C'est l'outil idéal de la désinformation. Certains cabinets sont d'ailleurs spécialisés dans l'art de faire gonfler ou dégonfler un buzz sur internet ce qui permet de lancer une rumeur ou d'étouffer une information. 

En résumé, visez une technologie mal connue, fondée sur des éléments invisibles, et accusez-là de propager la mort de façon insidieuse. Accusez ses promoteurs d'être des personnes perfides (au sens de per fides : de mauvaise foi) motivés uniquement par le profit. Faites du buzz, étouffez les contre-arguments et perturbez les débats. Alors, vous verrez apparaître les manifestations (modernes processions), les saccages, et les hautes autorités politiques et scientifiques ne seront pas entendues, surtout depuis leurs erreurs de communications lors de précédents scandales sanitaires.

 Ce mécanisme a vraisemblablement été déjà subtilement utilisé ces dernières années.

Applications de ce mécanisme à des sujets actuels ? 

Le traitement de trois sujets d'actualité récente (OGM, gaz de schiste, nanotechnologies) semble avoir subit ce mécanisme. Évidemment, il n'y a pas de preuves mais plutôt une série d'anomalies qui devraient interpeller un esprit critique. 

Premier cas : les OGM. Pourquoi le mouvement contre cette biotechnologie est-il si vigoureux dans un pays qui ne l'utilise pas et nul dans un pays qui en consomme les produits depuis des années ? Et y aurait-il un rapport avec le fait que ce premier pays dispose des meilleurs chercheurs sur le sujet ? Et pourquoi, dans cet autre pays, les mouvements consuméristes les plus puissants du globe n'y trouvent rien à redire ? 

Deuxième cas : le gaz de schiste. Pourquoi, à une certaine période, il fallait attendre d'avoir atteint la 35e page d'un moteur de recherche courant pour trouver un seul article favorable à une nouvelle technique minière d'extraction de gaz ? Débat contradictoire ou saturation d'internet orchestrée par une seule partie qui souhaite qu'un carburant fossile reste dans le sol pour mieux vendre le sien ? Pourquoi a-t-il fallu prendre pour argent comptant un unique reportage apocalyptique sur l'usage de cette technique à l'étranger ? Et quand bien même, en quoi nos situations respectives sont-elles comparables alors que nos régions, leurs géologies et nos systèmes d'approvisionnement d'eau diffèrent totalement, alors que l'argument est justement la pollution des nappes phréatiques ? 

Troisième cas : les nanotechnologies. Pourquoi la campagne d'information sur ce sujet, appuyée par les institutions, les scientifiques, les syndicats et divers associations du monde civil a-t-elle été méticuleusement sabotée par des groupuscules qui ne représentent qu'eux même ? Et comment leurs membres ont-ils trouvé les moyens logistiques d'agir sur la France entière ? 

On objectera qu'il ne s'agit que d'anomalies, pas de preuve. Mais, ces agents manipulateurs non plus n'en avancent aucune. Ils véhiculent juste des angoisses et des peurs.

Donc, en l'absence de preuves de part et d'autres, on ne peut que soupçonner des acteurs économiques, connus mais dissimulés, d'utiliser ceux que Lénine qualifiait ''d'idiots utiles'' pour mobiliser de grands mouvements de masse dans l'unique but d’entraver la recherche et l'autonomie énergétique, militaire, industrielle de la Nation. 

Il ne s'agit nullement d'une théorie du complot. D'ailleurs, les partisans des théories du complot reprennent ces mêmes thèmes, participent au phénomène et heureusement pas de la façon la plus efficace.

Il faut se souvenir que chaque pays a des intérêts propres, souvent antagonistes avec les autres et parfois même avec ses propres alliés. Et que dans le cadre de la guerre économique, il est plus rentable et plus sûr de paralyser la concurrence que de parier sur sa propre recherche. 

A qui profite le crime ? 

Il est évident que cette situation profite à ceux qui, ailleurs, développent les mêmes technologies, sans entrave, acquièrent les brevets et monopoles ou exploitent leurs gisements sans concurrence en attendant d'exploiter les nôtres. 

Alors, après tant d'anomalies, voici quelques pistes : Qui a intérêt à paralyser notre recherche et notre développement pour éviter la concurrence de la redoutable recherche française ? Quels pays disposent d'une interface entre grands patrons et services secrets dans laquelle les renseignements sont échangés sans le moindre formalisme et sans entrave légale ? Quel pays a formé des milliers de militaires aux opérations psychologiques qui sont ensuite retournés à la vie civile ? Quelles sont les grands mouvements qui font métier de porter les thèmes anxiogènes ? Pourquoi les mobilisations visent-elles principalement des secteurs stratégiques ? Pourquoi tous les secteurs stratégiques d'avenir sont-ils touchés ? Qui organise les manifestations, les actions de dégradations en bande organisée, les bivouacs, les entraves, les blocages, tous ces actes qui obligent les acteurs publics ou privés au secret, ce qui permet ensuite de dénoncer le manque de concertation et de transparence ?..... 

Il n'y a pas de preuve, peu de traces, juste un mécanisme qu'on devine : alors, qui écouter ? Celui qui incite à réfléchir ou ceux qui font peur ? 

Une dernière question : Qui paye ? En impôts : les dégâts occasionnés ; en insécurité : les forces de l'ordre mobilisées sur ces événements ; en chômage : les emplois non créés ; en pouvoir d'achat et qualité de vie les plus-values non dégagées ... 

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Ce type de stratégies illustre parfaitement une culture du ''coup tordu'' qui peut s'exprimer à un niveau largement supérieur. D'après certains analystes, et pas des moindres, la crise financière actuelle s'analyserait aussi dans une logique de guerre financière.

Christophe-Alexandre Paillard affirmait dans une interview de présentation de son dernier ouvrage Les Nouvelles guerres économiques : "Rivalité militaire et guerre économique ne sont que des piliers différents de la même stratégie de survie des Etats"

Lieutenant-colonel Olivier ROCHE

Stagiaire à l'École de Guerre (s'exprime à titre personnel)

Officier de Gendarmerie depuis 1992, formé en intelligence économique à l'IERSE en 2008 et à l'IEP d'Aix en Provence en 2010, dans ses dernières fonctions, le LCL Roche était référent régional en intelligence économique à l'Etat Major de Région de Gendarmerie de Provence Alpe Cote d'Azur de 2008 à 2011.