Origines et histoire des shinobi (alias ninja)

Publié le 20 mai 2012 par Ivan

Dans la fantasmagorie de l’Occident pour les arts martiaux japonais, figurent en bonne place les guerriers de l’ombre bien connus sous le nom de ninja. Mais la réalité est bien loin des pirouettes et pouvoirs extraordinaires que l’on peut voir dans les films, puisque leurs principales forces résidaient surtout et avant tout dans leur discrétion et leur furtivité.

Le mot nin (忍) en japonais n’est pas un terme inconnu du monde des arts martiaux. Lorsque j’enseignais l’aïkido au dojo de la Montagne Sainte-Geneviève à Paris, je me souviens que le tatami était surplombé par une immense calligraphie qui représentait les mots (si je me souviens bien, mais cela fait longtemps...) « enseignement et endurance », soit le terme nin. Endurant donc est le pratiquant de ninjutsu. Mais le terme de ninja ne fut utilisé qu’à partir de 1780, c'est donc un terme relativement récent par rapport à leur histoire. Pour désigner généralement ces guerriers, on parlait plutôt de shinobi ou shinobu, mais aussi parfois rappa, suppa, kagimono-hiki ou kusa. Plus simplement encore, on les désignait sous le terme de Iga no mono ou koga no mono, ce qui veut dire les hommes de Iga ou de Kôga. Car c’est des deux provinces proches de Kyôtô que sont issus les clans les plus réputés de shinobi.

Naissance des shinobi

Dans le système féodal et strictement contrôlé du Japon moyenâgeux, peu de provinces pouvaient se targuer d’être à peu près indépendantes. C’est pourtant le cas des provinces de Iga (aujourd’hui Mie) et Kôga (aujourd’hui Shiga dans la province d’Ômi, du côté du lac Biwa). Pas de taxes, pas de daimyos, les habitants de ces régions ne répondaient pas au système politique en vigueur de l’époque. Idem pour le code d’honneur des bushi, ils ne se sentaient pas tenus de suivre le bushido. Cette liberté apparente vient du fait que les deux provinces sont des régions montagneuses et forestières. Iga est un anneau de montagnes situées au cœur du Kansai, montagnes particulièrement isolées. C’est grâce à ces conditions géographiques particulières et à l’absence de sols agricoles sources de revenus que ces deux petits endroits purent vivre selon leurs modes sans être soumis au pouvoir féodal direct. Leur développement fut tel, que l'on pouvait compter pas moins de 70 familles de shinobi dans la province de Iga, et 50 dans la province Kôga.

La mythologie du Japon prête sa fondation à l’empereur Jimmu en février -660. Son frère ainé avait été tué par un clan puissant appelait les Nagasunehiko (hommes aux longues jambes). Pour remporter la victoire le frère cadet, Jimmu décide de contourner la région ennemie par la mer et de combattre face à l’Ouest, en venant de l’Est. Il remporta cette bataille et fonda le Japon, pays du soleil levant (qui vient de l’Est donc). Ce que l’histoire officielle ne raconte pas c’est qu’il engagea des mercenaires pour mener a bien sa guerre. L’utilisation de troupes de mercenaires est donc aussi vieille que la fondation du pays. On peut donc penser que pour conserver leur indépendance, les farouches mercenaires décidèrent de vivre là où le pouvoir n’aurait pas les moyens de les soumettre. Peu à peu, ils se spécialisèrent dans toutes les formes de combat. Quoi qu'il en soit, cela nous éclaire sur le fait que dès les fondations du pays, on utilisait es mercenaires qui pourraient bien-être les ancêtres des shinobi.

Le combat hors cadre

Le Japon des bushi a toujours était celui des règles sociales strictes, notamment dans l’art de combattre. Les shinobi n’étant quant à eux nullement obligés de suivre ces règles n’avaient qu’un seul mot d’ordre « réussir à tout prix ». Du coup, ils purent inventer quantité de modalités de combat qui étaient peu orthodoxes pour l’époque. C’est ainsi qu’ils institutionnalisèrent, si l’on peut dire, l’art de l’espionnage, de la guérilla, de l’embuscade etde l’assassinat. Mais pour exceller dans ces techniques qui ne sont pas celles du champ de bataille, il fallait qu’ils inventent des méthodes d’entraînement, d’endurcissement et de combats radicalement différentes des bushi. L'habitat montagneux est déjà en soi une forme d'endurcissement de l'esprit et du corps qui donne des personnes robustes.

Les montagnes sont également les lieux de refuge des ermites combattants, une caste assez peu appréciée des grands monastères, car ils les méprisaien. Leur nom : les yamabushi (litt. guerrier de montagne). Eparpillés à travers la région de Kyôtô, ces moines préféraient les forces de la nature à l’encens des monastères, trop proches des cercles du pouvoir selon leur goût. Ces mystiques étaient réputés pour leurs capacités à combattre, leur art de guérison, leur technique avancée de respiration et de concentration. Leurs armes de prédilection étaient la lance ou la naginata, mais surtout les sabres shiba-uchi et hôken (ou chie-ken). Ils étaient aussi experts dans l’art du lancer des armes de jet, dont de grands clous (shuriken) qui servaient lors des rituels pour jeter un sort contre un ennemi. Au contact des villages de shinobi, ils furent tout naturellement leurs maîtres d’armes.

Population des shinobi

Qui pouvait avoir de bonnes raisons de sortir du carcan de la société nippone et devenir un homme sans foi ni loi ? Les nombreuses guerres entre clans et provinces à travers l’histoire du Japon ont jeté sur la route quantité d’hommes dont on ne voulait pas ou plus. Bushi vaincus et sans plus de maître (dans les provinces d’Iga et Kôga), pirates en tous genre (région de Kumano), yamabushi, les moines ésotériques de la secte Shingon et enfin les hinin, la caste des impurs, car touchant le sang et le cuir. les hinin sont souvent formés par toutes les basses castes de la société comme les mendiants, les criminels, les vagabonds et les tanneurs, métier jugés particulièrement répugnants par les japonais. Ces hommes, et aussi ces femmes, formèrent des communautés montagnardes et constituèrent des milices pour se protéger (jizamuraï). Pour survivre, la plupart étaient aussi des paysans, des bûcherons ou des forgerons, bref avaient un métier. Mais comme leur histoire personnelle avait souvent à voir avec le métier des armes sous une forme ou une autre, ils continuèrent à élaborer des techniques de meurtre en tous genres et aussi de survie.

Au passage, le terme qui désigne une femme shinobi est kunoichi

Débuts de leur utilisation

C’est clairement pendant la période troublée de Kamakura (1185-1333) que les shinobi furent régulièrement employés. Cette période historique est celle qui voit s’affronter les deux grandes familles Minamoto et Taira. Pendant tout ce temps, les bushi sont à leur apogée et le shogunat devient un pouvoir militaire tout puissant en parallèle d’un pouvoir de la noblesse. Les conflits entre les clans, les familles, les militaires et les nobles donnèrent lieux à des centaines de batailles petites et grandes. Pour prendre l’ascendant sur un ennemi, il devenait alors crucial de connaître ses intentions, l’état des ses troupes, de ses finances, du moral des paysans, de l’abondance des récoltes... L’espionnage devint la règle et qui mieux que les shinobi pouvaient s’acquitter de la tâche, sans se salir les mains ou celles des bushis. Si l’ennemi montrait des velléités évidentes de conflits, un assassinat était bien moins cher à réaliser que de soutenir un effort de guerre. Là encore, les shinobi avaient leur carte à jouer.

Toutefois, il fallut attendre 1487 pour que leur présence en tant que véritables troupes de combats soit officiellement enregistrée. Le seigneur Ashikaga attaquait le château de Magari du seigneur Rokkaku avec de nombreux hommes d’Iga et de Kôga. Cependant, il ne faut pas croire que tous les shinobi venaient de ces deux régions, puisque pas moins de 70 familles de ninja étaient réparties à travers le Japon. C’est le cas par exemple des hommes utilisés par Shingen Takeda quelques années plus tard, dans les provinces de Kai et de Shinano.


Déclin et régularisation des shinobi

L’apogée de l’utilisation des shinobi en tant que combattant fut la période Kamakura, mais celle des shinobi en tant qu’espions commence par un déclin tragique. Oda Nobunaga fut l’un des grands généraux du Japon du 16e siècle. Il passa sa vie sur les champs de bataille dans le but d’unifier tout le Japon sous un seul pouvoir. Il est le premier des trois grands unificateurs du pays. En 1560 il remporte la bataille d’Okehazama avec 3000 hommes contre les 20 à 40000 hommes de Yoshimoto Imagawa. Il est l’homme le plus renommé du moment après cette victoire. Volant de victoire en victoire, il soumet les clans les plus puissants, dont les Takeda. En 1578 il fait tomber l’extravagant château d’Azuchi dans la province d’Omi. Pour Nobunaga Oda rien n’est plus haut à ses yeux que son pouvoir absolu conquis grâce aux vertus du bushido. La présence des provinces indépendantes et un affront à sa personne, et en 1579 il décide de soumettre la province d’Iga. Ses deux premières tentatives furent un échec cuisant pour ce guerrier qui avait tout réussi jusqu'alors. Les techniques de guérilla menées par les shinobi pour la protection de leur province déroutaient Nobunaga. Lors de la troisième invasion, il décida d’utiliser la politique de l’éléphant contre la fourmi. Il entra dans les deux provinces à la fois (Iga et Kôga) avec six armées différentes en six endroits différents. Nobunaga était connu pour être le premier à avoir des troupes régulières possédant des armes à feu (mousquets). Les familles de shinobi se firent massacrer et les survivants allèrent se réfugier chez l’un des lieutenants de Nobunaga, Ieyasu Tokugawa, qui leur fit bon accueil.

Après la mort de Nobunaga Oda, son neveu Toyotomi Hideyoshi prit la suite de la conquête du Japon. Mais c’est finalement Ieyasu Tokugawa qui réussit à unifier tout le Japon sous une main de fer. Il imposa la Pax Tokugawa, qui fut un désarmement et une baisse des moyens financiers des daimyos. Mais pour surveiller les seigneurs locaux et éviter toute rébellion, il s’appuya sur un vaste réseau de shinobi, employés par le shogunat et rebaptisés onmitsu. Une autre branche des shinobi qu’il avait accueillis dans son château forma le oniwaban qui était utilisé pour assurer sa sécurité personnelle, la surveillance de son château et dans une certaine mesure, sa police dans la capitale Edo. La période Edo est une époque sans bataille, ou le duel reste la seule forme d’affrontement possible. Le reste du temps, la police n’a que peu affaire à des hommes en armes et en groupes, aussi les anciens shinobi étaient particulièrement appréciés pour leur utilisation d’armes non tranchantes et pour leurs techniques de maîtrise non armées. 

(A suivre : évolution des shinobi en ninja)