Âââââââââââh.

Publié le 22 mai 2012 par Nicolas Esse @nicolasesse

Avez-vous jamais éprouvé un moment tiède de satisfaction béate? Un peu comme après les profiteroles, vous voyez ? Après le douzième plat, alors le chocolat noir referme le couvercle de vos intérieurs compressés et que votre estomac s’illumine à la vue d’une bouteille remplie d’un liquide ocre et extrait du siècle dernier.

Âââââââââââh.

Eh bien, pas plus tard qu’aujourd’hui, j’éprouvai ce même sentiment, sans blanquette de veau à l’ancienne, sans profiteroles et sans aucune boisson alcoolisée à base de malt pour mettre en joie vos sens tout en préservant la souplesse de vos artères.
Il était pas loin de quatorze heures. J’avais déjeuné, mais sans excès et j’avais bu de l’eau claire quand, tout à coup, je fus la victime d’une agression virtuelle et combinée sur un réseau social que nous appellerons Twitter.

Le sujet de cette embuscade a déjà fait l’objet d’un début de troisième guerre mondiale sur ce site. Pour faire court, nous dirons qu’une philosophe volante parisienne s’était mise en tête de démontrer la présence de trous dans le Gruyère, alors que tout le monde sait bien QU’IL Y A PAS DE TROUS DANS LE GRUYÈRE. On voit bien là à quel point la Parisienne est déconnectée des réalités du monde rural : de  l’agriculture elle ne connait que le Salon.

Donc, notre philosophe ailée profite d’un moment d’inattention de ma part pour s’introduire nuitamment dans la salle de contrôle de mon blog. (Je faisais la sieste, après les profiteroles) La voilà qui s’installe derrière le clavier pour écrire un article embrouillé que je n’arrive pas à effacer malgré l’utilisation quotidienne d’un détergent puissant. Il ressort de ce développement pétaradant que si le Gruyère n’avait pas de trous, alors ce serait du marbre et que, par conséquent, plus il y a de Gruyère, moins il y a de Gruyère. Certes.
En même temps, elle achète sur Amazon des sandales ailées de deuxième main ayant appartenu à Hermès. Hermès, le Dieu. Pas la maison qui fabrique des carrés en soie. Vous voyez ?

N’empêche, le mal est fait. Le doute s’installe. On sent comme une gêne, comme un début de malaise. Se pourrait-il après tout que le Gruyère puisse avoir des trous ? Sentant venir sur moi le souffle mou de la dubitation, je décide d’utiliser les grands moyens et de recourir aux services d’une détective photographe professionnelle basée à Marseille pour des raisons d’exil fiscal et que vous retrouvez sous l’appellation @theoneshotmi chez Twitter. Un pseudonyme qui en dit long si vous voulez mon avis.

L’enquête dura des mois et rien ne nous fut épargné. Je crus défaillir à plusieurs reprises. Jamais cette jeune personne ne leva le petit doigt pour se porter à mon secours.  J’aurais pu mourir cent fois. J’avais faim. J’avais froid. J’avais des hauts et j’avais des bas. Contrairement à cette jeune demoiselle qui taillait la route sans jamais se retourner ni me tendre une main secourable alors que je passais mon temps suspendu au-dessus du vide. La preuve par cet extrait de notre grande enquête exclusive qui livre enfin toute la vérité sur le Gruyère. Je vous laisse juge du ton adopté par cette jeune femme lorsqu’elle s’adresse à moi. Page 123. Je cite :
“Ecoute Nicolas… Bien sûr, tu aurais pu tomber, te faire mal, te casser en deux ou en quatre. Bien sûr, ça aurait pu arriver. Mais ça n’est PAS arrivé. Tu n’es PAS tombé. Recompte avec moi : deux jambes. Deux bras. Une grosse tête entre les deux oreilles. Une féérie anatomique. Pour le reste, je ne dis pas. Pour le reste, c’est pas un psy qu’il te faudrait, c’est un bon garagiste. Maintenant, faut que ça cesse. Tes états d’âme : on s’en fout. Tes migraines : on s’en fout. Tes vapeurs ? On s’en fout. J’ai assez vu ta petite tête de fleur de navet. Maintenant, on termine le travail. Après tu pourras mourir quand tu veux et dans d’atroces souffrances.”

Et le respect pour mes cheveux blancs, c’est du poulet ?

Des mois d’enquête pour aboutir enfin à la preuve irréfutable de l’absence totale de trous dans le Gruyère. J’échappais une dernière  fois à une mort certaine lorsque je répondis à l’invitation de cette juvénile détective à la rejoindre dans sa ville sous le fallacieux prétexte de fêter cet heureux dénouement. Pour ma défense, il faut préciser que c’était octobre, gris, sombre et décérébré. La perspective d’un voyage à Marseille avait réveillé en moi un goût d’été. Je partis donc le cœur léger.  Marseille, le sud, les boules et le pastis toute l’année. Moi, comme tout le monde j’avais vécu abreuvé de Pagnol et de marketing cigalier.
Je débarquai donc sur le Vieux-Port en tongs et chemise hawaïenne par une température d’à peu près zéro degré. Pour dire les choses, il fait toujours froid à Marseille. Hiver comme été, sans parler de l’automne. Et toute l’année, c’est la mousson. Quand je suis arrivé, le ciel pleuvait des hallebardes et les nuées ne cessaient de se déchirer pour déverser sur mon corps transi le contenu de pleines lessiveuses. Quand je suis reparti, le rideau de pluie était si dense que j’ai dû remonter à la nage la longueur du quai qui me menait à la voiture 12 du TGV. Je faillis attraper une broncho-pneumonie. Je rentrai chez moi have et décharné.

Mais, en dépit de la pluie qui ne cesse de tomber sur Marseille, et nonobstant l’incrédulité des philosophes qui volent, je n’ai eu de cesse, durant tout ce temps, de lutter contre les forces malignes qui tentent sournoisement d’imposer l’idée d’un Gruyère à trous dans l’esprit du public.

Et aujourd’hui, après la bataille est enfin venue l’heure de la consécration. L’heure de la récompense. Alléluia. Je remercie ma famille. Mes parents. La Vie. Dieu. J’avais préparé un petit compliment mais l’émotion m’étreint au moment de vous dire que nous avons vaincu. Le dernier carré s’est rendu. J’ai ici l’acte de reddition. Daté. Authentifié de la main propre d’Isabelle Pariente-Butterlin, philosophe volante qui capitule. Qui baisse le pavillon. Qui admet sans conditions l’absence totale de trous dans le Gruyère.

VOICI.

 

Ndlr. Certains habitués auront remarqué qu’il s’agit d’un DM, un message personnel qu’on envoie directement à son destinataire sur Twitter et ojecteront que ces messages personnels ne sont pas destinés à la publication. À cette remarqe, je répondrai : et mon œil, c’est un chou de Bruxelles ?