De rouille et d'os (2012) de Jacques Audiard

Publié le 23 mai 2012 par Flow

De rouille et d'os.

(réalisé par Jacques Audiard)

Filmer les corps.

Un prophète(que je n'ai toujours pas vu -shame on me!- a apporté à mes oreilles pour la première fois le nom de Jacques Audiard. Après avoir vu le film qui nous intéresse ici j'ai jeté un coup d'œil à sa filmographie que j'imaginais prolifique. Quelle ne fut pas ma surprise! Seulement six films en dix-huit ans. Le type sait assurément se faire désirer. En lisant les synopsis de ses précédents opus, j'ai compris (oui, je suis très fort) qu'il était spécialiste du polar. Ce qui rend De rouille et d'osencore plus atypique car on le rangerait plutôt du côté du mélo social. S'il n'évite pas les tares de ce genre compliqué, il se dégage du film une puissance et une maîtrise assez rares pour être signalée.

Ça commence dans le Nord. Ali se retrouve avec Sam, 5 ans, sur les bras. C’est son fils, il le connaît à peine. Sans domicile, sans argent et sans amis, Ali trouve refuge chez sa sœur à Antibes.

A la suite d’une bagarre dans une boîte de nuit, son destin croise celui de Stéphanie. Après un terrible accident qui va la priver de ses jambes, elle ne pourra plus que compter sur le soutien de cet homme atypique pour reprendre goût à la vie.

Les mélodrames tendance sociale, le cinéma français nous en abreuve à longueur d'année et ça me débecte. Pourtant, la bande-annonce (et le titre je dois l'avouer) de ce film m'ont tout de suite attiré. Et je ne le regrette pas du tout. Pour la simple raison que le cadre social de l'histoire, on s'en branle royalement. Ce n'est pas ce qui intéresse le cinéaste et c'est tant mieux. Il préfère s'arrêter sur le caractère de ses protagonistes et surtout leurs corps. Car c'est bien de ça qu'il est question ici.

Stéphanie (une Marion Cotillard qui est descendu de son nuage hollywoodien et à raison) a perdu une partie du sien et le film constitue pour elle un voyage initiatique. Il s'agit de réapprendre à se déplacer, de parvenir à effectuer des gestes simples, mais aussi à plaire. Bref, il s'agit de réapprendre à vivre en se détachant du superficiel (le corps) pour en saisir l'essence, la beauté.

Ali (Matthias Schoenaerts, une révélation) est le corps animal, bestial. Il apparaît au début du film comme un être brutal et primaire. Pourtant, très vite il est évident qu'il souffre d'un mal intérieur qui le ronge. A la blessure physique de l'une se superpose la blessure enfouie de l'autre. Le parallèle est évidemment facile mais il est traité assez sobrement pour convaincre.

La fascination que le corps d'Ali provoque chez Stéphanie est toute naturelle. Elle a perdu le sien et cela lui permet de survivre. Ce dernier lui servant d'extension. Mais leur relation est plus complexe que ça et elle dépasse ce constat initial. Ils se guérissent mutuellement, tel un pansement et leurs étreintes n'en deviennent que plus belles.

Tout cela est rendue possible par la maîtrise et le talent de Jacques Audiard. Il filme les corps des protagonistes sans fards, d'une manière naturelle et surtout empathique. On souffre avec Stéphanie lorsqu'elle découvre l'étendue des dégâts, on a mal pour Ali lorsqu'il s'éclate les mains sur la glace. Mais ça va bien au-delà. Un simple rayon de soleil illuminant le visage boursouflé de Marion Cotillard devient une scène intense et revigorante alors qu'une scène de combat s'arrêtant sur les muscles en action suffit à saisir la bestialité et la puissance du corps de Matthias Schoenaerts. Là réside le principal attrait d'un film qui n'en manque pourtant pas.

L'intelligence du réalisateur est d'avoir vendu le film comme étant une chronique sociale déguisée. Il n'est pas question d'opposer les milieux des deux personnages pour en tirer une morale banale. De plus, la bande-annonce laisse croire que le personnage de Cotillard est le cœur du récit. C'est vrai un moment mais sans qu'on s'en rende vraiment compte, il y a un glissement, un changement de focale sur le personnage de Schoenaerts. Ce dernier est fascinant. On ne sait jamais quand il va exploser ou s'effondrer. On se demande s'il est vraiment détaché ou si ce n'est qu'une façade. S'il n'est qu'un animal ou s'il peut faire preuve de tendresse.

A n'en pas douter, je vais me pencher sur la filmographie d'Audiard mais également de l'acteur belge (dont le fameux Bullhead, shame on me bis). Il se dégage une puissance émotionnelle intense de ce film,qui, s'il n'évite pas le pathos et quelques lieux communs se révèle être une agréable surprise.

Note: