Sept ans de réflection : Japon 2006 / 7

Publié le 28 mai 2012 par Asiemute

Toujours à Kyôto, je découvre par hasard le "Pavillon de l'Auspicieux Nuage" où Nicolas Bouvier a posé quelques temps ses bagages d'écrivain-voyageur, dans l'enceinte du Daitoku-ji.

Je dis bien par hasard, car en sortant du Kinkaku-ji, j'avais plus envie de prendre un chemin de traverse que de me diriger vers le très célèbre Ryoan-ji, tant vanté par tous les guides touristiques, mais aussi bien trop convoité par les visiteurs.

J'aime bien aller, ainsi, à contre-courant ; je dois d'ailleurs à mon intuition les plus belles rencontres ...

"Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui même. On croit qu'on va faire un voyage mais bientôt c'est le voyage qui vous fait ou vous défait." Nicolas Bouvier

 

"J'ai pu louer - un coup de chance - un bâtiment dans l'immense enceinte du temple bouddhique du Daitoku-ji.
Littéralement traduite, notre adresse donne "Pavillon de l'Auspicieux Nuage, temple de la Grande Vertu, quartier de la Prairie Pourpre, secteur nord, Kyôto."

 

"Depuis les jours où il se définissait lui-même en ces termes, le bouddhisme zen s'est bien étoffé : jamais depuis que je voyage je n'ai été logé plus grandement qu'ici. L'enceinte du temple de la Grande Vertu n'entrerait pas dans le Champs-de-Mars, et il faudrait des vies longues et nombreuses pour compter les tuiles de ses toits. Le Daitoku-ji est l'une des deux sources de la secte Rinzaï du bouddhisme zen japonais et gouverne à travers le pays une centaine de temples issus de la lignée. C'est un grand complexe entouré de murs de pisé qui comprend trois portes monumentales à la chinoise, un honbo (temple principal), un sodo (monastère), un beffroi au toit cornu qui abrite la cloche de bronze dont les vibrations règlent l'horaire de la vie monastique ; enfin une vingtaine de temples subsidiaires nichés entre leur cimetière et leur jardin, qui ont chacun conservé leur ambiance particulière, leurs traditions, leur clientèle, leurs intrigues et sont souvent "à éventail tiré". Entre ces murs discrets, un réseau d'allées pavées à grandes dalles de pierres grises. Des bouquets de pins. De très hautes frondaisons compassées et criantes de cigales. Du silence entre les cigales. Dans un cimetière, un bonze en surplis framboise récite des sutra sur une tombe, et c'est comme une fontaine entendue de très loin. Des odeurs de résine, des enfants invisibles qui crient chi-chi (papa) quelque part dans ce labyrinthe, puis quelques vagues de ce silence hautain. La silhouette dansante du livreur d'un bistrot chinois sur un vélo qui grince. Deux abbés se croisent, se saluent bien bas et s'éloignent n'en pensant pas moins. L'un est un saint, l'autre une canaille, et ils se connaissent pour ce qu'ils sont : voila la vraie courtoisie. Ici, pas un geste ni un mot dont on n'ait pesé d'avance les plus minces conséquences. Derrière cette paix austère, on sent des ressorts bien tendus, et, sous cette politesse engourdie et confite, une vigilance qu'on ne doit pas souvent prendre en défaut."

Le Ryôgen-in, fondé en 1502, et son célèbre jardin sec : un des quelques vingt temples dont parle Nicolas Bouvier. Nul autre que Nicolas Bouvier n'a sans aucun doute su approcher avec tant de finesse, de justesse, l'âme du Japon : son histoire, sa culture, ses moeurs, ses religions. Chronique Japonaise devrait être la bible de tout voyageur qui décide, un jour, de découvrir le Japon ... J'ai acheté ce livre bien avant ce premier voyage : c'est toujours mon livre de chevet et celui que je glisse, comme d'autres la Bible, en premier dans mes bagages.

Le Ryogen-in est "mon premier jardin sec" ; jardin de pierres, de gravier ratissé, de mousses ... Il y a forcément toujours une première fois : celle-ci est inoubliable, tant il y règnait de paix, de tranquilité, de sérénité, de beauté ... Un lieu de méditation, certes, mais aussi un lieu de recueillement ...

 

 

 

 

Toujours dans l'enceinte du temple, en suivant un petit chemin bordé de haies de bambou derrière le Ryogen-in, j'ai découvert le restaurant Izuzen ou l'on sert uniquement du shojin ryori, la cuisine végétarienne créée par les moines bouddhistes zen, restaurant que j'évoquais il y a quelques temps dans mon post sur le tofu. Là encore, premier repas savouré presque "religieusement", au milieu d'une clientèle exclusivement japonaise toujours étonnée de voir une "gaïjin" en ces lieux, et cette impression de vivre, une fois encore, un moment unique, si précieux et privilégié ...

 

Pas très "top" mes photos des plats ... je me suis tout de même un peu améliorée depuis ... ;-)

Photos à Kyôto, Daitoku-ji, juillet 2006

Extraits de "Chronique japonaise" de Nicolas Bouvier