[anthologie permanente] Françoise Ascal

Par Florence Trocmé

Françoise Ascal vient de publier Lignées, avec des dessins de Gérard Titus-Carmel (lire cette note de lecture d’Antoine Emaz), aux éditions Aencrages & co.  
 
Ce que je sais, tout le monde le sait. Je ne sais rien que je serais seule à savoir. Et tout ce que j’ai appris je le savais déjà. J’en arrive à douter d’exister. J’en arrive à ne plus savoir si un moi est possible. Si quelque chose à soi est possible. Dans la foule je vous regarde et me reconnais. À des milliers d’exemplaires. Visages d’argile commune. Regards qu’on pourrait croire uniques. Vous-mêmes, sentez-vous parfois votre crâne devenir un lieu de traverse, un corridor ouvert à tous vents, un hall fourmillant, tandis que vos pas sur le sol ne laissent aucune trace, votre chair aucune ombre ?  
 
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Tu te souviens du mot puits. Autrefois il s’adossait au mot source. Tu le laisses rameuter sa noirceur opulente. Son joyau d’horreur. Secret d’enfance à la verticale de l’été. Enfonçure, appel, étreinte. L’inconcevable nuit, offerte par-delà la margelle. Le sans-fond à ciel ouvert. Œil magnétique, suspendu, oui, entre gouffre et source. Tu oscilles à hauteur d’herbe, prise en tenaille. Soleil et soif, poulie chantante, eau fraîche. Tombeau de cris, raclement d’ongles. 
Tu te penches sur d’anciennes haleines. 
Un froissement de fougères berce les noyés.  
 
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Tu marches dans les nervures songeuses du millepertuis, dans les vaisseaux ramifiés de ton cerveau. Les cellules meurent ou prolifèrent, tu ne sais rien du grand chantier.  
La forêt n’est pas vierge, la page n’est pas blanche et les chemins n’existent pas. 
Tu dois marcher longtemps dans le blanc éblouissement du trop-plein de signes, dans le noir incertain des ombres mêlées. 
Les morts en attente, alignés comme des troncs, dressent leurs branches défeuillées. 
Tu dois marcher sans t’arrêter. 
Sans t’encombrer de mots. 
Que rien ne te retienne, si tu veux franchir la passe, si tu espères toucher du doigt l’or de l’énigme.  
Françoise Ascal, Lignées, avec des dessins de Gérard Titus-Carmel, éditions Aencrages & Co, 2012, sans pagination.  
 
Françoise Ascal dans Poezibao :  
Bio-bibliographie extraits 1, extrait 2, Si Seulement (A. Emaz), Rouge Rothko (E. Emaz), Un rêve de verticalité (A. Emaz), Lignées (A. Emaz)