Féria d’Arles - Corrida

Publié le 19 mars 2008 par Hugues-André Serres

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Dans l’arène, le frère de lumière Vainc le tyran
Aperçus sur la symbolique de la féria
Par Pascal Treffainguy

Affiche Bodega “Les Andalouses” Arles

Comme l’homme Jésus doit mourir au bout du chemin de Pâques qui le mène à la croix, pour que le peuple juif retrouve le divin dans une nouvelle Jérusalem, ou se perde sur les routes de la diaspora et de l’holocauste aux dieux païens, le taureau, bestial, désir surgi de nos terres intérieures, doit franchir l’extrémité du corridor et mourir sous la dague, cachée sous la mulette, de l’homme de lumière.

Nul veau d’or dans ce rite ressuscité de l’ère du Taureau (de -4.000 à -2.000 avant notre ère), dans cette marche de la grande année de 16.000 ans, dans laquelle s’élance l’humanité pour vivre la spirale de sa destinée. N’y retrouve t-on pas le récit des victimes de NDE, de mort imminente ? Ces témoignages de retour de l’au-delà dont les auteurs, bouleversés, racontent les expériences de tunnel et de lumière à son extrémité qu’ils ont vécues. De cette catharsis, tous affirment être renés, d’une renaissance prophétisée par le Grand Prêtre du Temple à propos de Jésus : « Ne faut-il pas qu’un meurt pour que tous vivent ? ». Et c’est ce qu’offre la féria, mourir à l’hiver, aux ténèbres, à l’ancien, aux doutes pour que renaisse dans la foi la lumière des beaux jours et l’espérance des récoltes à venir.

Avant l’agneau sacrificiel de l’ère du Bélier, et son oncle le « bouc émissaire » envoyé dans le désert chargé des transgressions de la collectivité, avant la souffrance du Christ en croix, qui offre son corps et son sang pour racheter les violations de l’ère du Poisson, se tient le taureau de nos arènes. Et, surgi de nos mémoires ancestrales, le taureau ouvre le passage, « pessah » en hébreu, le passage du peuple vers sa Terre promise : fuite de l’Egypte pour fonder la nouvelle Jérusalem, fuite de Jérusalem pour Rome puis le St Empire Romain germanique et ses successeurs. Après le passage expiatoire, la lumière donc… et c’est ce que notre féria d’Arles offre au peuple héritier de la Rome. Provence, tu fus Province de Rome. Arles, tu demeures les Champs Elysés des vétérans de l’Empire et le tombeau des premiers Chrétiens ! Tes enfants sont fidèles aux promesses de leur sang. Des Baux, notre capitale ; de la Provence, notre royaume ; de nos arènes, le lieu de notre renaissance !

Ramenée en nos mûrs par les traditionalistes du début du siècle dernier, comme Léon Daudet, qui prophétisaient « le stupide XXe siècle », ce siècle où le grand capital a bu le sang des peuples jusqu’à la lie et dont les profits boursiers rendent son ivresse insupportable aux peuples spoliés, l’arène est le lieu où l’Arlésien juge, au grand jour, l’apostat et le matérialisme. Arène, tu es le temple de notre renaissance. C’est ici que ce verse l’eau du rite purificateur, comme fertilisateur. Nous pénétrons entre tes colonnes, les yeux bandés de la mulette, et l’épée de l’homme vainqueur s’enfonce en notre coeur pour y tuer l’égoïsme profane. Nous renaissons alors dans l’habit de lumière qui n’a jamais cessé d’être celui de notre dignité originelle. La voûte inversée de l’arène se transforme en arche, transportant la joie de la foule. D’elle, la clameur de chacun devenu « frère des étoiles », s’envole vers la voûte céleste et se diffuse dans le monde, pour en chasser nos soucis et nos émotions déréglées. La fin de l’été marquera l’étape ultime de ce rite grandiose, réglé sur la respiration du cosmos, où le sacrifice du temps se récolte alors en moissons. Le riz, comme une manne céleste, inondera notre grenier. Entre l’équerre, formée du bras portant la molette et l’épée, et le dessin du compas de l’arène, c’est tout ce dont il a besoin qui est rapporté à l’homme.

Nul besoin de médiateur, seule compte l’assemblée fraternelle. Libérée de l’illusion, la foule n’a nul besoin d’un faux César ou d’un « Tsar, qu’occis » nous laissons à la pantomime du carnaval et à sa mort dans le bûché marquant la fin de l’hiver. De lui ne vient ni nourriture, ni pouvoir. De lui ne vient qu’errance et vaines promesses. Les Arlésiens du siècle passé le savaient bien et le célèbre encore autour des urnes des Alyscamps. S’ils ont su prendre de la modernité tous les aspects de commodité, leur âme a gardé le souvenir des réalités spirituelles et ne s’est pas laissée acheter par l’or du diable. Cet or dont Faust découvre qu’il n’est que sable ; ce sable où la bête doit avouer sa défaite, genoux à terre, pour marquer le triomphe de la lumière.

Dans sa grande sagesse, le peuple du delta du Rhône, maniant les clefs du « monde de l’entre deux », terre et eau, fertile et hostile, a bien compris que le taureau ne doit pas mourir. Comme Seth, le désir renaît en nous et chaque année, comme le Petit Prince sur son astéroïde arrachant les baobabs ou Isis recollant les morceaux épars de son divin fils Osiris, nous vainquons dans la lumière la force sombre qui sommeille en nous, pour faire de notre conscience une parfaite unité. Pour faire du Ciel et de la Terre, la force forte de toutes les forces. Par cette victoire pascale, nous triomphons de nous-même, préservant le monde de l’immonde. Par notre clémence provençale, car jamais Taureau ne meurt en Arles, nous permettons au bien comme au mal de trouver les places respectives qui sont les leurs. C’est par cette sage capacité à laisser les contrastes du monde s’articuler, qu’en Arles, plus qu’ailleurs, la vérité triomphe toujours. Vincit Omnia Veritas.