Idée reçue : le libéralisme, un anarchisme sauvage

Publié le 01 juin 2012 par Copeau @Contrepoints

Contrepoints vous propose de découvrir sur plusieurs jours l’introduction au Dictionnaire du libéralisme sorti récemment. Conçue comme une réponse aux lieux communs sur le libéralisme, elle vous permettra d’avoir l’ensemble des arguments sur ces préjugés si courants !

Par Mathieu Laine et Jean-Philippe Feldman.

Publié en collaboration avec l’Institut Coppet.

L’une des accusations les plus courantes tout autant que corrosives du libéralisme est d’en faire un anarchisme. C’est le « capitalisme sauvage » du XIXe siècle, la « loi de la jungle » où le plus fort mange le plus faible, le « darwinisme social » marqué par la survie des plus aptes dans la lutte pour la vie, et, selon la célèbre expression de Lacordaire, le « renard libre dans le poulailler ». En réalité, la critique se dédouble. Pour les uns, la pratique du libéralisme aboutit à un désastre social, faute d’autorité suffisamment puissante et aux compétences suffisamment étendues pour encadrer, sinon diriger, un marché myope, imparfait et incontrôlé. Du désastre social à la « paupérisation », puis à la guerre, il n’y a qu’un pas, allègrement franchi par ceux qui, tel Jean Jaurès, allèguent que le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. Pour les autres, c’est la théorie même du libéralisme qui est vicieuse parce qu’il n’est pas concevable que les hommes puissent vivre sans règles.

Le cœur de l’antilibéralisme se trouve ici atteint. Les libéraux répliquent qu’il existe une alternative à l’autorité centrale, dont ils dénoncent les nombreux effets pervers, pour faire régner l’ordre dans une société. La « main invisible » du marché rend, nous révèle subrepticement Adam Smith, harmonieux les intérêts divers des individus dans la « Grande société ». En poursuivant leurs intérêts personnels, altruistes comme égoïstes, les individus libres concourent, sans en avoir conscience, à l’intérêt de tous. Certains libéraux, parmi les plus classiques, considèrent que le libéralisme implique une régulation menée par des organismes indépendants du Pouvoir et analysent les crises récentes comme celles de la régulation. D’autres écoles considèrent, à l’inverse, que les régulateurs, nommés par le Pouvoir, ne sont en rien indépendants et s’avèrent bien plus des agents de la réglementation que de véritables régulateurs. Leur lecture est alors toute différente : de manière parallèle, au milieu du  XXe siècle, l’« ordre polyarchique » de Michaël Polanyi dans sa Logique de la liberté et l’« ordre spontané » des libéraux autrichiens caractérisent l’idée fondamentale qu’un ordre hiérarchisé avec un centre du pouvoir monopolisé par un ou par quelques hommes, même désignés par un processus démocratique, est incapable de régir une société de plus en plus complexe. Loin d’être antinomique avec l’ordre, la liberté en est la condition. Toute perturbation de l’ordre spontané par l’Etat réduit les libertés, porte atteinte à la prospérité et engendre des effets pervers. Prétendre que le libéralisme traduit une absence de règles, témoigne d’une complète incompréhension de l’ordre naissant, spontanément, des actions de chacun et des interactions des hommes entre eux. Des règles existent bien (le libéralisme n’est donc pas un anarchisme, pris au sens d’absence de norme), mais elles sont découvertes dans la compréhension de l’agir humain et du processus de civilisation. Hayek les qualifie de « règles de juste conduite ». Par exemple, le droit de propriété n’est pas né d’une réglementation ni d’une volonté gouvernementale mais naturellement, parce qu’il est le propre de l’Homme. Puis des gouvernants épris de sagesse ont identifié cette norme fondamentale et l’ont inscrite dans la marbre de la loi, prise dans son sens le plus noble. Par ailleurs, le contrat librement consenti est au cœur de l’harmonie libérale. Exprimant, avec la puissance d’une loi, la volonté des parties entre elles et assurant leur sécurité, il facilite la multiplication des relations interindividuelles qui font la richesse et la complexité d’une société. Àl’opposé des idées reçues, le libéralisme est, en conséquence, un univers particulièrement « normé ».

À cet égard, les libéraux ont depuis l’origine démontré les vertus du « doux commerce » qui, en rapprochant les hommes, interdit les guerres, pourtant ancestrales. À l’âge des conflits succède celui du commerce où la libre coopération des êtres humains remplace avantageusement les pillages et la prédation. L’économie ne peut donc plus être conçue comme un jeu à somme nulle à l’issue duquel le profit de l’un serait le dommage de l’autre. S’il y a échange, c’est que, par définition, il profite à chacune des parties. Aussi l’expression de « guerre économique » est-elle dénuée de sens pour un libéral. De même, les oppositions macro-économiques en termes de capital et de travail ou les conflits entre différentes « classes sociales » irrémédiablement antagonistes démontrent une ignorance de la nature humaine et des mécanismes de marché. L’ordre spontané produit un ensemble de relations harmonieuses entre les individus dont les relations sont encadrées par le Droit. Il s’agit non pas d’ordres imposés par une autorité, mais de règles produites par l’action des hommes au cours des siècles pour faire régner le juste, et tout particulièrement les trois lois fondamentales de nature dégagées par David Hume au milieu du XVIIIe siècle qui ont permis l’émergence d’un ordre spontané et qui en assurent la reproduction : stabilité des possessions, transfert par consentement et exécution des promesses. Antérieur et supérieur à la législation, le Droit permet la coopération pacifique entre les hommes en protégeant leurs propriétés et leurs contrats.

L’ordre libéral ne verse donc pas dans l’anarchie et la liberté incontrôlée. Il représente au contraire les progrès de la civilisation dont les harmonies économiques ont été magnifiées par Frédéric Bastiat au milieu du XIXe siècle. Il a permis aux hommes de se distinguer des barbares, anciens ou modernes, de développer tout le potentiel d’humanité qui est en eux et de mener une existence digne conformément à leur nature. Modeste par définition, il n’entend ni changer l’homme, ni, comme ses concurrents constructivistes, penser et imposer, en abusant du monopole de la violence légale, une « société parfaite ». La pensée libérale n’est pas pour autant faite uniquement pour les personnes riches et bien portantes. Elle se veut, au contraire, garante du respect de la nature humaine, des droits de tous les individus, qu’elle préserve notamment de l’arbitraire public. Elle considère que l’ordre qui se crée par l’action libérée des contraintes dans un univers institutionnel respectueux de ce qui fait l’homme est bien plus efficace que celui qui naît de l’ordre artificiel, décidé et dessiné, comme le feraient des architectes sociaux, par quelques gouvernants, élus ou non.


Sur le web.

Le Dictionnaire du libéralisme est en vente sur Amazon