Le parachute doré, la « solution yéménite » de Wall Street

Publié le 03 juin 2012 par Copeau @Contrepoints

L’immoralité du parachute doré ne le rend pas moins utile et le supprimer sans lui trouver de remplaçant aurait des effets négatifs.
Par Acrithène.

Pourquoi les actionnaires font-ils des cadeaux à leurs dirigeants les moins méritants ? Voilà une question qui laisse perplexe. Le fait que ces parachutes ne soient pas accordés au moment du licenciement mais à celui de l’embauche donne un premier indice. La théorie des jeux offre toute une série d’explications sur l’intérêt qu’ont les entreprises à promettre un bonus pour cause d’échec… tout un paradoxe !

Un raisonnement par induction inversé

Lorsque vous choisissez un mouvement aux échecs, vous devez analyser la réponse de votre adversaire à chaque mouvement envisageable. C’est sur la base de cette réponse, que vous choisirez votre propre mouvement. Autrement dit, le raisonnement que vous effectuez se fait dans l’ordre anti-chronologique. Un bon joueur tentera d’analyser les conséquences d’un mouvement dans plusieurs tours avant de choisir son action au tour actuel. En théorie des jeux, on appelle cela une résolution par backward induction (la traduction française de « raisonnement rétrograde » n’est franchement pas vendeuse). Voyons comment cela nous aide…

Décourager les dirigeants de s’accrocher à leur poste

Globalement, l’ensemble des raisonnements qui suivent relèvent essentiellement de la même idée : réduire l’aversion des dirigeants à leur licenciement. Le Golden Parachute est conçu au moment de l’embauche dans l’intérêt de l’entreprise qui en fait un instrument anticipant les situations dans lesquelles le risque de licenciement conduirait les dirigeants à agir contre l’intérêt de leur entreprise.

– Encourager les bons risques. Toute décision d’une entreprise repose sur l’appréciation d’une perspective de profit au regard des risques encourus. Or l’appréciation d’un risque dépend de la perspective retenue. À l’échelle d’un pays, les risques sont dilués par la loi des grands nombres (en lançant un dé, la probabilité d’obtenir seulement « 1″ est assez significative, mais si vous effectuez 1 000 lancés, vous êtes quasiment assurés d’avoir une moyenne de 3,5). Ce qui est vrai à l’échelle d’une nation est vrai dans la perspective des actionnaires de grands groupes, dont les intérêts sont totalement éparpillés. Au contraire, les intérêts des dirigeants sont concentrés dans leur entreprise et peut les conduire à un excès de prudence : ils n’ont qu’un seul dé. Le Golden Parachute est une assurance contre l’échec d’une stratégie a priori bonne. Il promeut le dynamisme contre la mollesse de dirigeants planqués. De ce point de vue, il aligne la perspective des dirigeants avec celle de la collectivité.

– Décourager la rétention d’informations. Les dirigeants ont une connaissance privilégiée de l’entreprise qu’ils président. Que doivent-ils faire lorsqu’ils détiennent une information ou un avis susceptible de provoquer leur licenciement ? Il semble clair que leur intérêt est de cacher le plus longtemps possible ces informations aux marchés. Le Golden Parachute, en réduisant pour le dirigeant le coût de son licenciement, réduit le risque d’une gestion mensongère.

– Promouvoir les rapprochements d’entreprises. Lorsqu’une entreprise fait face à une offre de rachat, les actionnaires demandent aux dirigeants de donner un avis consultatif. Vendre l’entreprise au prix offert, est-ce une bonne affaire au vu de ses perspectives ? Il est possible que la réponse soit positive mais que la fusion implique le changement des dirigeants. Auquel cas, ces derniers auraient intérêt à tromper les actionnaires. À nouveau, le package de sortie réduit cette incitation pernicieuse.

– Simplifier les divorces. Lorsqu’une entreprise se sépare d’un dirigeant, elle se fâche avec quelqu’un dont le pouvoir de nuisance est immense. Il est assez fréquent de voir des dirigeants remerciés aller étaler leurs états d’âme dans la presse. Le Golden Parachute est ici le prix de la paix.

D’un point de vue éthique, les Golden Parachutes sont problématiques. Lorsque les actionnaires embauchent un dirigeant, ils ne peuvent s’empêcher de lui confier un pistolet pour leur tirer dans les pieds. Le Golden Parachute sert à racheter à ce pistolet. Il rémunère la capacité de nuisance dont dispose tout dirigeant. Pour que le parachute fonctionne, il faut qu’il soit assuré contractuellement avant l’apparition des problèmes. Aussi, et de nombreux média le négligent, les actionnaires ne peuvent rejeter que symboliquement le parachute doré au moment du licenciement. C’est un engagement contractuel sur lequel les actionnaires ne peuvent légalement pas revenir ! M. Gourgeon conservera son parachute malgré la décision de l’assemblée générale d’Air France !

Hélas, l’immoralité de ce mécanisme ne le rend pas moins utile et le supprimer sans lui trouver de remplaçant aurait des effets négatifs. En matière de diplomatie, les médias évoquent souvent la fameuse « solution yéménite » qui consiste à offrir une retraite acceptable à un dirigeant autoritaire afin qu’il accepte de renoncer au pouvoir sans effusion de sang, sortie de crise improbable lorsqu’il s’attend à un lynchage. Le Golden Parachute est la solution yéménite de Wall Street, immorale, mais bien pratique…

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