Réconciliation

Par Eric Mccomber
Mon cœur a subi bien des outrages au cours des quinze dernières années. En février, il a mis sa démission sur la table. Rien de moins. Je l'ai refusée, avec l'aide des opérateurs de drill de l'armée en blouses blanches du Languedoc, dont un des colonels m'a percé un trou dans le bras pour venir me tripoter le noyau (live !). Je me relève pas à pas. Chose étrange et marrante, je suis dans une puissante phase de réconciliation (mais non, n'ayez pas peur, je ne parle pas des fascistes).
J'ai eu bien mal à ma musique, jadis. J'ai quasiment quitté le métier de nombreuses fois. Entre 1993 et 1998, par exemple, j'ai vraiment fait autre chose. Je suis retourné sur scène grâce à mon amitié avec John McGale, qui m'a poussé, encouragé, remis sur les rails.
Puis, quand je suis parti à vélo en 2007, j'avais un souci de nerfs dans le dos qui avait fini par me paralyser presque entièrement la main gauche. J'ai donc fait le choix de prendre la route sans guitare. J'ai repris la gratte lentement pendant mon hibernation à Cognac. Le jour de mon départ je suis allé remettre trois guitares qu'on m'avait prêté. Je ne sais presque pas comment ça se goupille, mais dès que je m'arrête quelque part, les guitouilles se mettent à s'accumuler autour du lit. Ensuite, sur les routes et les chemins, j'ai chanté. En tapant sur les cocottes de freins, je me faisais des sets entiers,  calculant la structure, le pacing, pour que les rythmes créent une belle histoire et aussi pour que les tonalités aillent en augmentant (z'aviez pensé à ce truc ? ça marche).
Bref, je suis rentré dans ma tour depuis mars et je suis activement en route vers une réconciliation de toutes mes parties. J'ai toujours pratiqué le graphisme et cette aptitude est sollicitée presque chaque jour. Je passe le plus clair de mon temps à lire, jouer de la guitare, écrire, traduire, réviser. Le jour, je me consacre à ressortir mes vieux morceaux des oubliettes les uns après les autres. Je les pose sur un petit site tranquille, qui s'ouvrira bientôt aux regards et aux oreilles. Ça me suffit amplement. Les pièces existent enfin.
C'est hilarant, je réalise ces jours-ci que de 85 à 93 je n'ai écrit qu'un seul morceau, en 300 versions différentes. Grosso modo, toutes mes pièces ou presque racontaient l'histoire d'un dissident emprisonné qui parvenait enfin à s'évader, à s'affranchir, à briser ses chaînes, à écrouler les murs, à rejoindre le vert et vaste globe. C'est totalement dingue, je ne m'en suis simplement jamais rendu compte. Voilà peut-être pourquoi même le printemps de beaux jeunes ne me donne pas envie de rentrer dans ma patrie. J'ai fait ma souveraineté, j'ai quitté mon île, je me suis construit, reconstitué, restructuré à partir de presque zéro. Mes trois ou quatre aptitudes, mon corps, mes envies, mes goûts, mon chemin. Quelques années sous la tente à errer, 100 bouquins dans la remorque. Je resterai éternellement solidaire, amoureux et fier de mon peuple, mais je suis… réincarné.
Ouais. Voilà, j'ai réussi à me pardonner ma vie. Je suis en train de me réconcilier avec mes choix. Ça paraît simple, puisque je n'ai jamais trahi ma cause, que je suis resté droit comme une flèche dans mes traces, de 14 à 34 ans.  Ça ne pèse pas bien lourd quand on est assis en face d'un macoute, d'un banquier ou d'un flic, mais je sais désormais que quand toutes tes possessions sont là autour de toi dans une tente d'un kilo, que tu as réduit ton empreinte sur terre à sa plus simple expression, ce qui reste est très dense, très pur et, ma foi, plutôt clair. Ce qui reste, c'est l'essence.
Sans déconner…
Tout est. Tout a été. Tout sera.© Éric McComber