Sentiments contradictoires d’une famille d’origine turque à Vienne (la tête de…)

Par Borokoff

A propos d’Une seconde femme d’Umut Dağ

Begüm Akkaya, Nihal G. Koldas

Fatma, une vieille femme d’origine turque vit avec son mari Mustafa et leurs six enfants dans le même appartement, à Vienne. Gravement malade, Fatma est partie en Turquie pour marier officiellement son fils à Ayse, une jeune femme de 19 ans, originaire d’un village. Mais Fatma destine en réalité Ayse à son propre mari qu’elle ne veut pas laisser seul, sachant qu’elle va mourir. Très vite, les tensions apparaissent entre Ayse et les enfants de Fatma, qui la rejettent. Fatma, au contraire, se sent de plus en plus proche de la jeune Ayse en qui elle a entièrement confiance et avec qui elle se sent bien…

Une seconde femme vaut surtout pour son scénario et la qualité de ses interprètes. Construit comme un huis-clos, Une seconde femme se déroule presque exclusivement dans un appartement. Teinté de souvenirs personnels, le premier long-métrage d’Umut Dağ décrit les relations affectives et de tendresse qui s’installent entre Fatma et sa bru auxquelles s’opposent les rapports houleux voire tendus entre Ayse et les enfants de Fatma, qui la détestent d’emblée parce que c’est un élément rapporté par excellence, une arriviste et une opportuniste qui n’a rien à voir selon eux avec l’identité de la famille.

L’animosité des filles de Fatma à l’encontre d’Ayse est d’autant plus étonnante qu’Ayse est une jeune femme très polie et serviable, naturelle et gentille. Mais sans doute n’avait-elle pas sa chance dès le début. Courageuse, déterminée à s’intégrer parce quelle aime son mari (le fils de Fatma donc), Ayse va pourtant peu à peu inverser ces rapports et conquérir le cœur endurci (aigri parfois) des membres de cette famille d’immigrés turcs, qui peu à peu la considèrent, à l’image du plus jeune enfant de Fatma et même d’une des filles de Fatma qui était pourtant infecte avec elle au début.

Begüm Akkaya

Il faut reconnaitre à Une seconde femme, malgré des longueurs et un côté un peu larmoyant que renforcent les compositions d’Iva Zabkar, qu’il ne manque pas de nuances ni de complexité dans ses portraits psychologiques ni la description de ses relations familiales à couteaux tirés. Avec une certaine finesse, Umut Dağ décrit le changement progressif d’attitude des enfants de Fatma à l’égard d’Ayse et l’intégration progressive de cette dernière dans la famille alors qu’elle semblait désespérée et impossible au début. Seule la fille aînée de Fatma reste intraitable et odieuse avec Ayse.

Une seconde femme fait d’abord penser dans sa forme et sa construction à Une séparation, par le huis clos familial qu’il installe et sa manière de dépeindre les rapports orageux entre les enfants de Fatma et Ayse. Mais très vite, on se détache de cette impression. Une séparation était un film sur la crise qui s’installe en parallèle chez deux couples iraniens issus de milieux sociaux opposés mais qui se déchirent devant leurs enfants. Or, dans Une seconde femme, Fatma et son mari s’aiment profondément comme Ayse tombe peu à peu amoureuse du fils de Fatma. Mais ce dernier cache un lourd secret qui l’empêche d’aimer Ayse. C’est un coup de théâtre, un des rebondissements inattendus du scénario comme celui qui arrive à Fatma et à son mari.

Et puis, Une seconde femme n’est pas filmé avec la même maestria, la même virtuosité formelle qu’Une séparation.

C’est davantage un film sur la transmission, et une forme de filiation par procuration si l’on peut dire, entre Fatma et sa belle-fille. C’est aussi un film sur la nostalgie et les déceptions d’immigrés turcs vivant en Autriche depuis des années. De plus en plus en proche d’Ayse, Fatma va peu à peu idéaliser cette dernière au point de la prendre pour une fille idéale, celle qu’elle aurait toujours aimé avoir. Cette relation privilégiée entre Ayse et Fatma, jouée par une excellente Nihal G. Koldas, va d’ailleurs aiguiser la rancœur de sa fille aînée, et accroître le ressentiment voire une forme de jalousie qu’elle éprouvait déjà à son égard.

Malgré une forme de pathos qu’on espère, Dağ gommera dans ses prochains films, la complexité des sentiments contradictoires qu’éprouvent les protagonistes en eux et entre eux est assez subtilement décrite. Chacun des protagonistes partage finalement une forme de frustration, de manque (d’amour ou de la Turquie) mais aussi d’espoir. la mélancolie confine parfois même à la nostalgie et c’est assez miraculeux que le film se finisse de manière optimiste, alors qu’un nouveau coup de théâtre venait d’ébranler la maison. Et détruire toute la confiance, l’amour mais aussi l’attente que Fatma avait placé en sa belle-fille…

http://www.youtube.com/watch?v=4DBpoGnkhmU

Film autrichien d’Umut Dağ avec Nihal G. Koldas, Begüm Akkaya… (01 h 33).

Scénario d’Umut Dağ et Petra Ladinigg :

Mise en scène :

Acteurs : 

Dialogues :

Compositions d’Iva Zabkar :