Au secours : une bande de mystérieux « Loups passants » a envahi l'atelier des bâtisseurs de cathédrales !

Par Jean-Michel Mathonière

Andrew Fabriel, Dans l'atelier des bâtisseurs de cathédrales. La tradition initiatique des «Loups passants ». Éditions Maison de Vie, Paris, 2012. 128 pages. 16 euros.


Rien qu'à lire la mention « Loups passants » dans le sous-titre de l'ouvrage, je me doutais bien que ce livre était une esbrouffe... Mais comme par principe je ne rejette aucun livre avant de l'avoir au moins soigneusement feuilleté, je me suis même laissé aller à l'acheter. Las ! la lecture confirme amplement ma première impression...

Suite:

Mais lisons tout d'abord la présentation de l'éditeur :

« Cet ouvrage porte sur les confréries qui œuvrèrent à travers l'Europe médiévale, et parmi celles-ci, les bâtisseurs "Loups passants", rattachés à une tradition initiatique très ancienne et se considérant comme le maillon d'une chaîne spirituelle et humaine ayant choisi une existence aventureuse et nomade. Cet ouvrage nous révèle l'identité de ces Maîtres d'œuvre et le message qu'ils ont voulu transmettre à travers leurs sculptures ou l'harmonie géométrique inscrite dans l'architecture. Les bâtisseurs "Loups passants", dont la tradition s'est perpétué jusqu'à nos jours, ont gardé le goût de la recherche spirituelle et de la connaissance vécue des principes créateurs. Andrew Fabriel nous dévoile leur démarche de pensée et nous fait participer à leurs travaux. »

Mais que diable les auteurs qui succombent ainsi à la masturbation alchimico-maçonnico-égypto-spiritualisante (rien de moins, sauf erreur dans mon compte) éprouvent-ils le besoin d'emballer leurs déjections littéraires sous l'apparence de révélations initiatiques ? Pourquoi aller chercher, avec cette mention aux « Loups passants », l'autorité comme conjuguée des Compagnons Passants et des Compagnons Étrangers tailleurs de pierre ? Pour donner comme un air d'authenticité à un délire maçonnique ? Pourquoi ne pas avouer qu'il s'agit simplement de poésie ? Ou d'un roman, façon l'éblouissant Jeu des perles de verre d'Hermann Hesse (cité justement dans ce livre) ?

Rappelons ici que dans la tradition compagnonnique, les « Loups » sont les Compagnons Étrangers tailleurs de pierre. C'est du moins le surnom que leurs donnent leurs ennemis, les Compagnons Passants tailleurs de pierre, qualifiés en retour de « Loups garous ». Ce sont là des surnoms qui ne nous sont connus qu'au XIXe siècle et dont l'origine reste à éclaircir, sachant que contrairement aux idées reçues, cette totemisation n'est pas très ancienne et n'antécède probablement pas le milieu du XVIIIe siècle. Quoi qu'il en soit, l'agglutination « Loups » + « Passants » est d'un improbable à la limite du ridicule. En la commettant, l'auteur vise certainement, sans l'expliquer le moins du monde, à se positionner en amont de la scission qui aurait déchiré les deux clans compagnonniques...

Car, en publiant de tels ouvrages, c'est bien de cela qu'il s'agit in fine : laisser entendre qu'il existe, quelque part en arrière-plan de la nébuleuse chaotique des obédiences maçonniques classiques et du grouillement des groupuscules aux rites les plus exotiques, une voie initiatique authentique qui, via le Moyen Âge chrétien, remonte sans aucun doute aux temples de l'antique Égypte... On reconnaît bien là une thématique chère au cœur du pilier des éditions Maison de Vie, Christian Jacq, qui l'avait déjà exposée dès 1980 dans Le message des constructeurs de cathédrales. À lire l'un et à relire l'autre, on se demande d'ailleurs si Andrew Fabriel existe bel et bien et s'il ne s'agirait pas tout simplement d'un clone de Christian Jacq.

En tous les cas, le livre appartient à la catégorie « plus “haut antique” que moi, tu meurs » ! Les amateurs de verbiage inspiré apprécieront toutefois toutes ses belles phrases, qu'on imagine prononcées d'un air pénétré par des maîtres à l'aura palpable : le livre les aligne comme d'autres enfilent les perles (de verre, il va de soi...). Et pour ceux qui, après cette saine lecture, souhaiteraient adhérer à une telle démarche initiatique authentique, il me semble qu'en écrivant à l'auteur via son éditeur (c'est-à-dire Christian Jacq), comme il est indiqué dès la page 6, il doit être possible d'entrer en contact avec la mystérieuse confrérie des « Loups passants ».

Pour ma part, en conclusion de ce coup de gueule (de loup), je dis :
s'il vous plaît messieurs les grands initiés, laissez donc les Compagnons tranquilles : ils travaillent, eux...

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)