Le monde d'hier (Stefan Zweig)

Publié le 11 juin 2012 par Egea

Stefan Zweig est un auteur qui reste une de mes références : témoin d'une Autriche-Hongrie révolue (voir ce vieux billet à l'occasion de la mort de François Fejtö), grand Européen passionné de France et d'Italie, auteur d'un remarquable Amerigo que j'avais chroniqué en son temps (voir ici), il est connu pour de nombreuses biographies et romans mais également pour une œuvre majeure, "Le monde d'hier". Je ne l'avais jamais lu, jusqu'à ce que je referme la dernière page hier soir. Il est temps de reprendre la série des fiches de lecture pour cette grande œuvre.

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1/ Mentionnons d'emblée la remarquable qualité d'écriture. A un moment, SZ s'en explique : il passe son temps à barrer l'inutile pour condenser son texte à ce qui est absolument essentiel. Cela franchit aisément l’écueil de la traduction. Et vient confirmer une règle qui surprend souvent l'écrivain débutant : la difficulté n'est pas d'écrire long, mais d'écrire court.

2/ J'avais envie de le lire parce que je croyais qu'il s'agissait surtout d'une chronique de la Vienne Habsbourgeoise, et que le monde d'hier était celui d'avant 1914. Cela est vrai, mais ne dure qu'un tiers du livre, et l'auteur n'est d'ailleurs pas aussi tendre qu'on pourrait le croire envers cette période, dénonçant ses rigidités que nous avons oubliées. Mais il est vrai qu'il décrit surtout les malheurs de la première guerre mondiale, et surtout cet intermède incroyable de l'ente-deux guerres avec la montée aux extrêmes, jusqu'à la conclusion du livre par la déclaration de guerre anglaise à l'Allemagne. Ces pages sont emplies de tristesse, et le "Monde d'hier" est au fond le chant désespéré d'une harmonie perdue, celle de la fin d'un monde.

3/ Plus que la destruction de l'Autriche-Hongrie, c'est la destruction d'un esprit européen qui est racontée, entre-maillée de grandes rencontres avec les plus grands esprits de son temps et des portraits tous plus saisissants les uns que les autres (Verhaeren, R Rolland, M. Gorki, GB Shaw, G Orwell, Freud pour ne citer que les plus emblématiques). SZ était au coeur de la vie culturelle européenne de son époque, et son succès reconnu lui permit de rencontrer les plus grands.

4/ Au fond, ce livre est inséparable de celui de Tony Judt, dont j'ai déjà dit le plus grand bien, "Après-guerre". Pour bien comprendre le siècle dernier, pour bien comprendre notre siècle, pour bien comprendre l'Europe, il faut lire à la suite le Monde d'hier puis Après-guerre afin d'apercevoir à quel point l'Europe de 1945 est réellement une année zéro, un champ de ruine, un continent neuf. Ce n'est plus la vieille Europe, qui a été assassinée deux fois en 14 puis en 40.

5/ Peut-être ce livre explique-t-il aussi le pessimisme d'un de mes billets récents, sur les fractures européennes. En effet, l'Europe contemporaine me fait penser à l'Autriche-Hongrie, vaste amoncellement de peuples divers mais réunis sous une férule bienveillante. Sa force apparente cachait une profonde faiblesse, qui l'entraîna, sans qu'elle le voulut, dans les abîmes que l'on sait. Et les fractures européennes actuelles sont peut-être invisibles, mais recèlent les mêmes dangers qui ont cassé l'édifice K und K, kaiserische und königische, dont je reste un peu nostalgique. J'avais lancé sur facebook l'idée d'un club K und K....

Et je savais que de nouveau ce passé était bien passé, que tout ce qui avait été fait était réduit à néant - l'Europe, notre patrie, pour laquelle nous avions vécu, était détruite pour un temps qui s'étendrait bien au-delà de notre vie. (506ème et dernière page).

Carpe diem, disaient les latins...

O. Kempf