Revue de presse # 16

Publié le 12 juin 2012 par Les Lettres Françaises

Revue de presse

C’est le centième numéro de CQFD ! Belle longévité pour le « mensuel de critique et d’expérimentation sociales » dont l’aventure a commencé en 2003. Plein de bonnes choses au sommaire, qu’on vous laisse découvrir. Mathieu Léonard, notamment, nous signale une fois de plus de nombreuses et précieuses revues : Variations, l’Echaudée… Cette revue des revues est intitulée « Où l’on ne parlera pas, hélas, de La Revue des Livres (qu’il faut soutenir)« . Excellent conseil : on peut y trouver, entre autres choses également instructives, un long entretien avec Anne Clerval, Gentrification et droit à la ville. La lutte des classes dans l’espace urbain, qui est intéressant, bien qu’on pourrait redire deux ou trois choses sur la manière dont sont perçues les différentes populations de gentrifieurs… Ne pinaillons pas. A l’heure où les sociaux-traîtres sont en train d’annihiler la concurrence sur leur gauche, le social-traître Delanoë et son équipe de traîtres ont les coudées franches. Il est bon que le plus grand nombre possède quelques notions, même sommaires, de critique des politiques urbaines. (On en profite pour signaler que la Somme et le Reste, revue au format Pdf, consacre son dernier numéro à Jean-Pierre Garnier, qui connaît bien le sujet).

Une réserve cependant, – une fois n’est pas coutume – à propos d’Article 11, dont Mathieu Léonard signale la plus récente parution : « On ne présente plus le mensuel, disponible en kiosques, Article 11 et son équipe de sérieux déglingos (d’après une rumeur qui court dans le 9-3). À ce propos, ils nous livrent dans leur numéro 9 un entretien avec Arnaud Aubron, animateur du blog Drogues News. Il y rappelle une ironie de l’histoire : « Les militaires américains ont conduit beaucoup d’expériences sur l’usage des drogues. Avec toujours cette idée qu’ils maîtrisaient la situation. Une belle erreur, dont le projet MK-Ultra, mené par la CIA, fournit l’illustration : beaucoup de ceux qui ont lancé la vogue du LSD au début des sixties aux États-Unis sont passés par MK-ultra en tant que cobayes. […] D’une certaine manière, la CIA a ainsi contribué à l’essor du mouvement hippie. »

Il est toujours tentant de croire ses ennemis plus stupides qu’ils ne sont en réalité. Dire que la CIA a contribué à l’essor du mouvement hippie, c’est une formule plaisante, mais un peu rapide. D’une part, le mouvement hippie dans son ensemble n’a pas causé beaucoup de maux de tête au gouvernement américain. D’autre part, abreuver les contestataires de psychotropes présente deux avantages : ça permet de les assommer à peu de frais, et de les emprisonner quand le besoin s’en fait sentir. La drogue a fait beaucoup plus de mal que les forces de l’ordre américaines à toutes les populations qui menaçaient, directement ou indirectement, de remettre en cause le système, de la Beat Generation au Black Power, des hippies aux rappeurs, pour aller vite à notre tour. La tactique est régulièrement remise à jour : on sait depuis l’enquête de Gary Webb que la CIA a facilité l’entrée de crack cocaïne dans les quartiers noirs des grandes villes de l’Ouest du pays dans les années 80, pour aider au financement illégal des mouvements contre-révolutionnaires au Nicaragua. Les ravages de cette substance particulièrement nocive n’ont pas ému grand monde et le scandale a été étouffé sans trop de problèmes, malgré les efforts de quelques journalistes courageux. D’innombrables américains, pauvres et Noirs pour la plupart, en ont payé le prix, ce qui arrangeait tout le monde, puisqu’on ne savait de toute façon pas quoi en faire d’autre…

(Encore une fois, on pinaille… C’est une bonne chose : en lisant Libération, par exemple, on ne peut pas pinailler, on est obligé de se donner du mal pour sauver quelque chose. Un type nommé Bayon, qui, selon nos informations, aurait reçu un prix littéraire il y a longtemps, écrit à propos de Nicolas Repac : « Black box de Repac, titre impec, réconcilierait avec le gangsta-rap FM, via proto-slam d’entrée. (…) C’est du spiritual global, entre bwiti et work songs, pow wow et spleen cymbal ; mélopée morna ragtime sur la piste hobo stomp du rail maudit de Frontière, « Mojo working » et Voodoo blues au train »…  Ca continue comme ça sur deux feuillets. Je dois  être déjà un peu trop ringard pour apprécier une virtuosité langagière si farouchement moderne.)

La preuve que nos ennemis sont moins cons qu’ils n’en ont l’air. Pour ceux qui entretiendraient encore des espoirs sur la volonté de changement du nouveau président de la République vis-à-vis des « marchés » (nébuleuse entité), le journal Fakir a rencontré Nicolas Doisy, « chief economist » de la société de courtage Cheuvreux, auteur d’une note de quelques pages en anglais au sujet des perspectives politiques françaises. On y trouve d’instructives analyses, qui résument bien la situation à laquelle est confrontée le chef de l’Etat : « Tout comme François Mitterrand en 1981-1983, François Hollande va devoir déplaire soit aux marchés financiers, soit à ses électeurs, puisqu’il est certain de ne pas parvenir à concilier les deux. Prévenu des risques d’exaspérer à la fois les marchés financiers et l’Allemagne, Hollande sait qu’il cèdera finalement à leurs demandes…»

On louera la clarté du propos :  « C’est regrettable pour François Hollande, mais la nécessité d’une libéralisation du marché du travail est le résultat direct d’une appartenance de la France à la Zone euro, aussi ne peut-on avoir l’une sans avoir l’autre…»

Dans le même registre, Le Monde nous informe que la France accueille Rosoboronexport, le vendeur d’armes de l’Etat russe, du 11 au 15 juin, au salon international Eurosatory,  inauguré par Jean-Yves Le Drian, tout nouveau ministre de la Défense « socialiste » : « Quinze mois de bain de sang en Syrie, accompagné par une tenace « protection » russe offerte à Damas, n’auront pas suffi, manifestement, pour décourager pareille présence commerciale. La Syrie s’enfonce dans la guerre civile, mais sur le marché, c’est « business as usual »…

Voilà un très net changement-c’est-maintenant-! avec la politique des gouvernements précédents en matière de commerce de canons.