Hommes dans la rue : Guy vu par Sylvain Mouhot

Publié le 15 juin 2012 par Asse @ass69014555

Par Sylvain Mouhot

Il y a quelques jours, Marylène du collectif Assé découvrait, par la biais d'une de ses relations sans-abris, la situation invraissemblable d'un homme de 83 ans qui vit depuis 48 ans dans sa voiture ! Non, pas d'erreur de frappe...  Tout de suite, à la stuppeur, une envie d'aider naît dans le groupe...


Nous cherchons à en savoir plus et découvrons un article dans Var Matin  sur la toile. Nous contactons son auteur, Sylvain Mouhot, qui a eu la gentillesse de nous faire part de son ressenti.

« Comme convenu, je prends un peu de temps pour vous donner mon ressenti auprès de cet homme si particulier, qui vit depuis près de 50 ans dans sa voiture, sans confort, sur la voie publique.

- En début d'année 2012, une collaboratrice du journal, qui a la fibre humaniste, tient d'un ami la présence d'un homme sans ressource, vivant dans une voiture depuis... 30 ans ! (plus, en fait) Cette idée me semblant tout bonnement inconcevable, je conviens d'aller voir sur place, dès le lendemain.

- Maguy me conduit sur place. Elle a préparé un peu de pain, pâté, etc. pour celui que nous nommerons Guy (le prénom est changé pour respecter son anonymat)

- Nous nous garons et gagnons les derniers mètres à pied jusqu'à ce vieux break Peugeot délabré, rempli d'immondices, plus du tout en état de rouler. J'ai un peu d'appréhension à découvrir un homme en déliquescence, aux propos incompréhensibles, peut-être ruiné par l'alcool.

- Surprise, Guy tient un discours tout à fait cohérent et soutenu : écoutant la radio (sa seule activité), il est au fait de l'actualité, développe un raisonnement et un vrai sens critique. On est loin du cliché du clochard aviné.

- En le questionnant, nous cherchons surtout à pouvoir contribuer à son bien-être : a-t-il de la famille, a-t-il joint les services sociaux de Toulon pour obtenir un logement, veut-il un véhicule plus grand ?, a-t-il besoin de chaussons pour soulager ses pieds meutris par le froid ?

- A chaque question, il répond par un sourire et, courtoisement, décline toutes nos propositions. Je me dis : cela fait des années qu'il répond ainsi à des gens socialisés qui veulent son bien, mais qui n'ont aucune idée de ce qu'est de vivre des dizaines d'années dans ces conditions. Guy garde pourtant toujours la même pudeur, la même gentillesse. Derrière ses refus polis et ses silences, je comprends qu'il ne souhaite qu'une seule chose : disposer de sa vie comme bon lui semble. Il mourra dans sa solitude et ne veut pas s'encombrer d'un logement source de trop de contraintes : ménages, courses, chauffage, mobilier, loyer, etc.

- Des voisins s'arrêtent et demandent à Guy s'il a besoin de quelque chose puisqu'ils vont en courses. Non, besoin de rien. Mais ils ont pris l'habitude d'aller contre sa volonté en lui achetant des produits de premières nécessité. Ces voisins me disent leur culpabilité de passer tous les jours devant cette voiture abandonnée, l'aide qu'ils apportent à Guy leur semble couler de source, de par cette proximité.

- En fin de visite, j'avoue à Guy être un journaliste qui, par un article, pourrait faire évoluer sa situation. Il sourit, mais il ne veut pas qu'on parle de lui : il n'a rien d'exceptionnel qui puisse être raconté.

- Après une longue interrogation, nous décidons de raconter l'histoire en renommant le protagoniste, en évitant de situer le lieu de stationnement pour éviter des agressions dont il a déjà été la victime (certains sont sans foi ni loi), et en faisant réaliser un dessin de la voiture dans son environnement pour illustrer l'article.

- Plusieurs courriers sont arrivés à la rédaction par la suite : de l'incrédulité dans tous les cas et la volonté d'aider cet homme en contribuant à lui trouver un camping car.

- Un avis personnel : poser des questions fait partie de mon boulot, je le fais tous les jours sans retenue pour bien cerner mon sujet et le restituer au lecteur dans toute sa dimension. Là, dès le début de ma rencontre avec Guy, j'ai compris que rien ne pourrait lui faire changer d'avis. Et même s'il répondait avec détail et beaucoup d'esprit, il signifiait simplement : telle est ma vie, elle ne variera pas car j'en décidé ainsi. Il est très déstabilisant de se confronter à un mode de vie si radicalement différent du nôtre. De se dire que cela existe, ici et maintenant, à quelques kilomètres de notre quotidien. Ce reportage, cette rencontre, m'a marqué comme nul autre. Dans les jours qui ont suivi, je me suis parfois dit : "Et pendant ce temps-là, lui est assis dans sa voiture et attend".»