Une satire du temps de Mussolini

Publié le 20 juin 2012 par Les Lettres Françaises

Une satire du temps de Mussolini

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Monsieur Caméléon, de Curzio Malaparte

Dans Monsieur Caméléon, Curzio Malaparte parvient à condenser de nombreux thèmes existentiels, qui s’enchevêtrent littéralement dans une dimension historique et sociale. L’ouvrage ébauché en 1926 est publié en feuilleton dans le supplément d’Il Giornale di Genova deux ans plus tard. La chronologie a une grande importance à cause du rôle intellectuel joué par Malaparte. En effet, l’écrivain a décidé de faire paraître son livre pour contrer les critiques d’ambiguïté politique et idéologique qui lui ont été adressées à plusieurs reprises.

L’auteur place au centre de l’intrigue un caméléon. Cet animal est confié à des précepteurs, dont l’auteur, qui parle à la première personne. Le protagoniste, après avoir acquis un solide bagage culturel (grâce à l’art du mimétisme tant décrié), est mis sur la scène politique italienne. L’attention de l’écrivain se concentre surtout sur les vicissitudes de la vie politique, entre octobre 1922 (la Marche sur Rome) et le 3 janvier 1925 (jour où Mussolini prononce son discours sur l’assassinat de Matteotti). Le Caméléon, baptisé Don Cameleo, est emporté par le tourbillon de la fausseté humaine et se retrouve bientôt entouré d’autres individus bien plus caméléons que lui. Malaparte, avec une tonalité ironique, mais teintée d’une amertume désolée, fait un portrait cruellement réaliste du théâtre politique italien, caractérisé surtout par l’abjection, l’ambiguïté, le transformisme de ses acteurs. De plus, il propose le thème du rapport compliqué entre la nature humaine et la nature animale. Ces deux entités, mises au contact l’une de l’autre, montrent de multiples similitudes, qui font apparaître leurs instincts les plus délétères. La seconde partie de l’ouvrage se concentre sur les rapports de Don Cameleo comme personnage aux nombreuses significations symboliques dont deux sont proéminentes : la première concerne l’identification entre le Caméléon et Mussolini, absolue à la fin du récit ; la seconde regarde Malaparte en personne réfutant les accusations qui lui sont faites et décrivant la réalité de cette société.

L’écrivain, outre ses qualités littéraires évidentes, fait preuve d’une capacité remarquable d’analyse des dynamiques mondaines de l’entre-deux-guerres. En dépit de ce contexte historique, son Monsieur Caméléon a une valeur universelle toujours d’actualité.

Monsieur Caméléon, de Curzio Malaparte, traduit de l’italien par Line Allary, illustré par Orfeo Tamburi, La Table Ronde, 320 p., 8,50 euros.

Leonardo Arrighi