Enfin gradé !

Publié le 26 juin 2012 par Egea

Puisque l'université française a le monopole de la collation des grades universitaires, je suis très heureux d'avoir reçu aujourd’hui le grade de docteur : dix ans de travail récompensés. Un grand merci à JChR, DH, JD, FR, FCh, et les professeurs S et W, mais aussi à Emke et Thaypakas, et un hommage à MFT. Au-delà de ces abréviations, un petit bonus pour le billet du jour : la conclusion de la conclusion de la thèse, une page qui rassemble et concentre (et j'en profite pour adresser mes félicitations à EN, lui aussi docteur récent).

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Raisons et moyens de la perpétuation de l’Otan après la disparition des causes ayant présidé à sa constitution (1990-2010)

(pour mémoire... : quelques centaines de pages, bien sûr passionnantes mais dont vous pouvez vous passer)

Finalement, la transformation de l’Alliance a été une réussite : c’est parce qu’elle a su radicalement évoluer qu’elle demeure encore aujourd’hui au cœur de l’équation de sécurité euro-atlantique. Qu’il s’agisse de ses structures, de ses élargissements, de ses partenariats ou de ses opérations, l’Alliance n’a cessé d’innover pour aller parcourir de nouveaux champs et s’adapter sans cesse à une situation elle-même très changeante. Il faut d’abord constater cette plasticité, qui est au sens propre remarquable.

Pourtant, à cause justement de cette réussite, l’alliance est en déclin. C’est parce qu’elle a su répondre à toutes les difficultés qu’elle a de moins en moins de raison d’être. L’Amérique considère que l’Europe n’est plus ni un problème, ni une solution. Dès lors, elle a tendance à négliger l’Alliance qui lui est de bien moins grande utilité. Quant à l’Europe, elle ne ressent plus de réels problèmes de sécurité. Ainsi, les fondamentaux plaident en faveur d’un lent déclin de l’Otan, même si les aspects politiques (l’Alliance) persisteront.

L’Alliance, malgré son déclin, durera, et tout d’abord à cause du phénomène de l’émergence. J’ai montré par ailleurs que ce phénomène était une convergence économique, mais certainement pas une convergence politique. Au fond, nous ne sommes ni dans un monde unipolaire ni multipolaire, mais dans un monde apolaire. Nous voici revenu à l’âge hobbesien du chaos, simultanément à une lecture westphalienne (les nouvelles puissances affirment leur souveraineté) et à une réalité déjà post-westphalienne.

Dans cette mutation radicale où les institutions peinent à répondre aux défis (crise financière, crise écologique, crise sociale, crise politique), à l’heure où la réponse américaine est celle du « pivot » (qu’il faut traduire par basculement de l’Atlantique vers le Pacifique), pourquoi garderait-on l’Alliance ? A cause de ses valeurs. J’ai montré par ailleurs que ces valeurs « occidentales » étaient finalement ce qui réunit encore les Alliés. Même s’ils n’en ont pas une claire perception, ils sont vus par « le reste du monde » comme « l’Ouest » ou « l’Occident ». Ce mélange de libéralisme, de technologie, d’héritage gréco-romain, de démocratie et surtout d’esprit critique, voilà ce qui fonde « l’occident ». L’Alliance est le lieu résiduel de l’Occident, et elle demeurera pour l’incarner, tant que cet Occident sera utile en tant que catégorie.


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J’ai longtemps pensé que l’Alliance était lampédusène : Lampedusa est en effet l’auteur italien du roman « Le Guépard », qui fait dire à un de ses héros, aristocrate sicilien confronté à la révolution garibaldienne : « il faut que tout change pour que rien ne change ». Autrement dit, les formes peuvent muter, les structures persistent. C’était au fond la stratégie de l’Alliance, qui a choisi le mouvement comme réponse et adaptation au mouvement environnant. Mais il s’agit probablement d’une illusion. Tout a changé et donc, finalement, quelque chose a changé. L’Alliance n’est plus aussi évidente qu’elle l’a été. Elle donne le sentiment d’être inadaptée. Pas forcément dans ses modalités que dans sa spécialisation, qui est militaire.

Elle subit le contrecoup de la dévaluation de l’outil militaire, à cause de phénomènes concourants : la dissuasion nucléaire, les guerres irrégulières, le bouleversement enfin de la conflictualité dû à la planétisation qui est resserrement du monde, mondialisation économique et enveloppement du cyberespace. Si la conflictualité demeure, les canons de la puissance ont changé : il s’agit ici de désigner aussi bien les normes que les armes.

Dans un monde post-westphalien, la justification de l’Etat qui était la sécurité perd de sa pertinence. Il n’y a plus d’ennemi, plus de guerre, moins d’Etat, moins d’alliance. La déflation militaire entraîne la dévaluation de l’Alliance. Aucune des trois raisons de l’Alliance ne demeure vraiment valide (to keep the Germans down, the Russians out and the Americans in). Les Allemands sont tellement « soumis » (down) qu’ils ne veulent plus lire le vocabulaire traditionnel de la puissance. Les Russes sont tellement « exclus » (out) qu’ils ne constituent plus une menace ; quant aux Américains, ils n’ont plus réellement envie d’être « inclus » (in).

Est-ce si grave ? L’Alliance va encore se perpétuer, quelques années ou quelques décennies, sous le format d’une boite à outil dont on se sert à l’occasion. C’est une institution, et on ne se débarrasse pas des institutions sans hésitation ni prudence. Il faut être sûr qu’elles ne sont plus utiles. Le Saint empire romain germanique aura duré mille ans avant que Napoléon n’affirme tout haut ce que chacun savait : il ne servait plus à rien, coquille morte à l’heure de l’affirmation de l’ordre westphalien et de l’invention politique de la Nation. L’Alliance aura le même destin, même si cela prendra un peu moins de temps.

Mais il faut attendre encore un peu : n’est pas Napoléon qui veut.

O. Kempf

(désormais docteur en sciences politiques)