Démantèlement: l’industrie nucléaire va innover

Publié le 27 juin 2012 par Radiocaracol @radiocaracol1

Démanteler pièce par pièce les 58 réacteurs français : une échéance inévitable dans le pays du tout-nucléaire, qui pourrait se concrétiser rapidement mais dont la facture totale, évaluée à 18,4 milliards d’euros, pourrait être sous-estimée.

Photo REUTERS

EDF s’y prépare et expérimente déjà cette déconstruction délicate, radioactivité oblige, sur d’anciens réacteurs. Mais le premier producteur mondial d’électricité nucléaire n’en reste pas moins soumis à l’imprévisibilité des décisions politiques dans un domaine redevenu très sensible depuis la catastrophe de Fukushima.
La fermeture de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), promise d’ici 2017 par le président François Hollande, donnera le coup d’envoi d’une série de chantiers complexes qui doivent s’étaler jusqu’en 2057, soit près d’un siècle après l’ouverture des premières centrales en France.

“C’est la fin d’un cycle”, dit un analyste qui a requis l’anonymat, soulignant que l’industrie nucléaire française est confrontée à un étalement dans le temps qu’elle n’a jamais expérimenté.

A l’étranger, une quinzaine de réacteurs ont été totalement déconstruits, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Mais seuls les Américains ont démantelé des réacteurs dits “de puissance”, similaires au standard français, comme celui de Maine Yankee.

 
Aux Etats-Unis, le démantèlement de l’équivalent du parc français coûterait entre 27,3 et 34,2 milliards d’euros, soit au moins 9 milliards de plus que les 18,4 milliards estimés par EDF, a évalué la Cour des comptes, dans un rapport publié en janvier 2012, tout en insistant sur la prudence à adopter face à ces comparaisons internationales.

“ON MANQUE DE VISION ET DE STABILITÉ”

L’Allemagne envisage que sa propre facture puisse grimper jusqu’à 62 milliards d’euros, toujours selon la Cour des comptes. Elle a rappelé qu’après la décision de Berlin l’an dernier d’anticiper sa sortie du nucléaire, l’exploitant E.ON a multiplié par deux le devis par réacteur.

 
Cette explosion des coûts en Allemagne, selon un analyste d’UBS qui n’a pas voulu être cité, s’explique par le choix d’un démantèlement immédiat auquel les opérateurs n’étaient pas préparés et par de récents investissements dans le secteur.

Si jamais la France sortait elle aussi précipitamment du nucléaire, “la comparaison avec l’Allemagne nous montre que (le coût) passerait de 18,4 à 50 milliards d’euros”, souligne cet analyste.

Un autre expert remarque plus globalement que d’autres décisions pourraient avoir un impact sur la facture française. Le gouvernement pourrait par exemple entériner le choix du stockage géologique des déchets nucléaires, estimé à 35 milliards d’euros.

“On manque de vision et de stabilité du cadre : c’est une industrie qui a un horizon à 150 ou 200 ans, où l’évolution du tarif est décidée tous les ans”, résume l’un d’eux.

La loi oblige EDF à provisionner des actifs pour la déconstruction et la gestion des déchets. Selon les comptes publiés par le groupe, ces provisions atteignent aujourd’hui environ 15,7 milliards d’euros.

 
EDF, selon ses comptes 2011, table sur une rémunération de 5% par an en moyenne (avec une inflation à 2%) jusqu’au milieu du siècle des sommes provisionnées pour disposer des 45 milliards d’euros nécessaires aux charges de démantèlement.

Une sortie brutale du nucléaire ferait donc grimper la facture, notent les analystes.

“Il y a assez pour financer (le démantèlement de) Fessenheim”, juge l’analyste d’UBS. Mais il souligne que l’argent nécessaire ne serait en revanche “absolument pas” disponible si les autorités décidaient brusquement de fermer cinq centrales de plus.

En outre, les analystes estiment que ces actifs provisionnés sont globalement bien gérés mais ils relèvent le risque que constitue la forte proportion d’actions dans ce portefeuille.

“Il y a un vrai risque marché. Si ces actifs dédiés perdent 30% de valeur il faudra les récupérer pour couvrir les provisions à long terme”, a dit l’un d’eux à Reuters.

Dans ce portefeuille, EDF a placé également 50% de ses titres de Réseau transport électricité (RTE), sa filiale à 100%, pour une valeur estimée à plus de deux milliards d’euros. Une sortie précipitée du nucléaire pourrait impliquer une vente de ces titres, note cet analyste.

15 ANS MINIMUM POUR DÉCONSTRUIRE

Sans attendre Fessenheim, EDF a déjà entamé le démantèlement de ses neuf plus anciens réacteurs, dits de “première génération” par opposition au parc actuel de deuxième génération, beaucoup plus puissant.

 
Parmi eux, Chooz A, dans les Ardennes, est le seul à avoir servi de prototype aux centrales actuelles : il fonctionnait avec la même technologie à eau pressurisée (REP), achetée clé en main aux Américains en plein coeur de la Guerre froide.

Sa construction a pris cinq ans, sa déconstruction doit en prendre quinze.

Sur le chantier de ce réacteur souterrain, les travaux commencés en 2007 n’accusent ni retard ni surcoût. Mais dans les galeries où s’affairent des ouvriers en combinaison blanche équipés de compteurs Geiger, les ingénieurs sont confrontés à des problèmes qui remontent à la conception du réacteur.

“Clairement, Chooz A n’était pas conçu pour le démantèlement”, admet le responsable EDF du chantier Stéphane Lelong. “Il y a, par exemple, un vrai manque de place pour déplacer les gros composants.”

Dans le Finistère, la déconstruction du réacteur de Brennilis a commencé en 1997 mais ne devrait être achevée qu’en 2023, selon les prévisions d’EDF. Du coup, le devis a augmenté de 26% entre 2001 et 2008, selon la Cour des comptes. Elle a rappelé qu’après la décision de Berlin l’an dernier d’anticiper sa sortie du nucléaire, l’exploitant E.ON a multiplié par deux le devis par réacteur.

 
Cette explosion des coûts en Allemagne, selon un analyste d’UBS qui n’a pas voulu être cité, s’explique par le choix d’un démantèlement immédiat auquel les opérateurs n’étaient pas préparés et par de récents investissements dans le secteur.

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