La fille qui préparait ses vacances un peu comme un stage de survie au Zamora-Chinchipe

Par La Chose

Parce qu’une blogueuse hype et populaire préférera se faire offrir quinze jours en Mer Rouge par ses annonceurs plutôt que de s’enterrer trois semaines au camping de Cucq(parce que quand même faut pas déconner)

Dans quelques jours, avec Loutre, on part en vacances.
Chaque année, avant le départ, c’est la même chose: il faut faire les valises. Et dans notre maison, faire les valises, c’est  toujours un grand moment de détente et de convivialité.
Loutre, qui communie avec la Nature et socialise avec les grands chênes de Brocéliande, n’a pas beaucoup de place dans sa tête pour ranger les souvenirs pratiques, comme le dernier endroit où on a posé la plaquette de beurre (sur la plaque chauffante, en général) ou la date de départ du bateau qui traverse la Méditerranée (mais heureusement Loure sait très bien nager).
Hier matin, on a donc commencé à faire la liste des choses qu’on allait emmener, et aussi celle des choses qu’on allait laisser, comme nos animaux, qui ne peuvent pas venir avec nous, rapport au fait que Ted Bundy ne sait pas se tenir en société et qu’Eva Braun est tout le temps en train d’envahir la Pologne.
On a pris une feuille de papier et on a commencé à écrire ce qu’il fallait penser à mettre dans les valises.
Loutre, qui a la mémoire d’un poisson rouge mais le sens pratique d’un pisteur massaï croisé avec un éclaireur Cherokee, a pris les choses en main.

- Ok, alors vu ton pragmatisme légendaire, on va faire simple et logique: t’as qu’à classer tes fringues en partant des pieds et en remontant jusqu’à la tête.
- Merci, j’ai fait, comme ça j’ai pas du tout l’impression que tu me prends pour une gourde.
- Gourde, a dit Loutre, absolument, il nous en faut trois, je file au garage pour les mettre de côté!

Pendant que Loutre allait chercher toutes les choses qui servent à faire croire à nos amis qu’on est une famille très sportive et saine (comme les bâtons de marche, les duvets polaires ou la lampe-tempête,  que Loutre a emmenés  jusqu’à Antananarivo mais qui n’ont jamais dépassé Sucy-en-Brie avec moi), j’ai vidé mes tiroirs et j’ai pris tous mes habits par grosses poignées pour les mettre dans ma valise. Comme de toute façon je repasse jamais, ben ça n’avait pas l’air plus froissé une fois roulé en boule dedans.

- Qu’est-ce que c’est que cette merde? a dit Loutre en remontant du garage les mains vides.
- C’est mes habits, j’ai dit, t’as pas trouvé tes gourdes?
- Tu vas pas fermer ta valise sur cette vision d’apocalypse? On dirait Jonestown après le suicide collectif!
- Bah, de toute façon je vais les porter donc les user, ces fringues, t’as pas trouvé tes gourdes?
- Je sais plus où je les ai rangées après notre dernière balade en forêt. Arrête de ricaner et refais cette foutue valise.

Quand j’ai terminé de bourrer mes vêtements une deuxième fois dans ma valise (mais comme j’avais mis par-dessus quinze livres de poche, six BD et une vingtaine de jeux vidéos, ben on voyait plus les habits), j’ai entendu Loutre crier du rez-de-chaussée:

- Lucette! T’as pas vu mes lunettes de soleil?
- Nan, j’ai fait.
- Et la casquette blanche?
- Non plus.

J’ai vaguement entendu Loutre qui râlait et qui fouillait partout, et pendant ce temps-là j’ai débranché ma console de jeu et j’ai essayé de la faire rentrer dans ma valise, mais c’était dur à cause de tous les livres, des BD et des jeux vidéos. Alors j’ai sorti la moitié de mes habits, et là ça rentrait presque.

- Lucette! Tu te souviens où j’ai mis mon sac vert?
- Nan, j’ai fait.
- Et l’appareil photo?
- Non plus.

J’ai eu un peu de mal à tasser mon disque dur (celui où il y a tous les films de zombies et aussi les deux trilogies Starwars et même les deux Ghostbusters) à cause de ma console qui frottait contre le couvercle de la valise, alors j’ai sorti encore quelques habits et la trousse de soins (celle avec les pansements, le mercurochrome, les machins contre les allergies et la Ventoline de Phlegmon, qui est asthmatique depuis pas longtemps, et aussi myope, et il va falloir lui acheter des lunettes, et la dentiste dit qu’il faudra aussi des bagues, et donc Phlegmon elle se mariera jamais et elle nous pourrira la vie jusqu’à ses cinquante balais, c’est pas moi qui dis ça c’est Loutre).
Une fois la trousse de soins sortie, le disque dur il rentrait bien dans la valise et j’étais jouasse.

- Mimine! Tu te souviens où j’ai foutu mon tee-shirt violet?
- Nan, j’ai fait.
- Et mes tongs?
- Non plus.

Quand Loutre a fini par remonter (les mains vides) et par voir ma valise, j’ai eu droit au regard “pourquoi tu assassines des bébés phoques en déforestant l’Amazonie et en consommant des litres d’huile de palme au petit-déjeuner, salope?”.

- Tu te fous de moi? a dit Loutre.
- Je vois pas pourquoi tu dis ça, j’ai répondu en sautant sur ma valise qui voulait pas fermer à cause de l’angle de la console de jeu.

Alors Loutre a fait des histoires en me disant que jamais je grandirais, que j’étais limite pire que Phlegmon (qui elle, au moins, avait l’excuse de faire de l’asthme et de devoir bientôt porter des lunettes et aussi des bagues), que j’étais vraiment impossible, impossible, impossible (Loutre a dit ça en italiques, c’est parce que Loutre lit Tableau synchronique d’histoire moderne de 1453 à 1648 de Michelet), et que de toute manière venant de quelqu’un qui lisait des cacas en papier comme Carrie ou Livres de sang, on pouvait pas s’attendre à mieux, et alors moi j’ai dit que si je pouvais pas emmener GTA et Resident Evil en vacances, j’allais être très malheureuse, que de toute façon j’étais déjà très malheureuse, que personne ne m’aimait et que je voulais mourir.

Alors ce matin, comme c’était le dernier jour de travail de Loutre avant les vacances, j’ai voulu faire la paix dans la rigolade et la bonne humeur, et j’ai scotché discrètement une feuille blanche dans son dos juste avant son départ, avec marqué au gros feutre noir “TON CUL” et une flèche vers le bas. J’ai même appelé son bureau pour lui dire “si y’a un truc que tu cherches, je t’ai mis un post-it”, ou quelque chose comme ça. Mais au bureau, y’avait personne, et c’est la gentille dame de l’accueil qui m’a expliqué.

Comment j’aurais pu savoir, moi, que Loutre allait directement à la Préfecture pour une cérémonie vachement sérieuse avec des anciens combattants, un sous-préfet, un directeur de cabinet et un ministre délégué?


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