[Dossier] BREF C’EST FINI : POURQUOI C’EST UNE BONNE NOUVELLE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

L’annonce est tombée vendredi 29 juin dans la journée. Bref, la série diffusée dans Le Grand Journal de Canal Plus, tire sa révérence. Sur Facebook, où les créateurs du show ont choisi de balancer l’info, les fans ont réagi en masse. Bref sur Facebook, ce ne sont pas moins de 2 900 000 fans. Cet ultime post compte à l’heure où j’écris ces lignes, 8924 commentaires pour 70 344 « j’aime ». Les 70 344 personnes qui ont cliqué sur « j’aime », ont-elles voulu remercier la série pour ces bons moments, où expriment-elles leur joie à l’idée de ne plus avoir à se taper deux minutes et des broutilles de « il m’a regardé-j’lai regardé-il m’a regarde, etc... », lorsqu’ils regardent Le Grand Journal ? Mais dans ce dernier cas, pourquoi ont-ils cliqué sur « j’aime » sur la page Facebook de la série en premier lieu ? Mystère.

Créée par Kyan Khojandi (qui joue aussi le premier rôle) et Bruno Muschio, Bref est diffusée pour la première fois le 29 août 2011, lors de l’inauguration de la nouvelle saison du Grand Journal, sur Canal Plus. Trentenaire, le personnage principal est un homme, célibataire, sans thune, sans boulot et sans cheveux. Soit la parfaite incarnation du français « normal » moyen, d’après Khojandi et Muschio. Gentil looser, le héros de Bref raconte sa vie, au cours de vignettes de 2 minutes (et quelques). Il ne dit jamais son nom, et commente ses actions en permanence. Le mec a des potes, un plan cul et nourri de sérieux espoirs quant à une autre nana pour qui il craque littéralement. Construite en trois parties, la première et unique saison de Bref comporte 82 épisodes (40 épisodes + 40 épisodes + 2 épisodes en guise de bouquet final). Ai-je précisé que Bref était une production franco-française ?

Quoi qu’il en soit, Bref c’est fini et au fond, c’est une bonne nouvelle. Pourquoi ? Tentative d’explication en cinq points !

Petite précision : le protagoniste principal de Bref n’indique jamais son prénom. Pour des raisons pratiques je décide ainsi de l’appeler Kyan.

1 – Kyan est comme vous et moi mais en fait pas du tout

Vous vous êtes déjà trompé de sens en enfonçant une clé usb dans votre ordinateur ? Vous vous êtes déjà aperçu qu’il n’y avait plus de papier au moment de faire la grosse commission ? Votre curriculum vitae est rempli de mensonges ? Vos avez déjà essayé d’apprendre à jouer de la guitare pour impressionner une fille ou un garçon ? Vous remettez tout au lendemain ? Vous avez un plan cul régulier ? Vous craquez sur un mec ou sur une nana ? Vous trainez sur internet ? Vous voyez un psy ? Vous vous êtes déjà retrouvé coincé dans un ascenseur ? Vous avez déjà pris une cuite ? Vous avez déjà monté un meuble Ikea (ou autre) ?

Si la réponse à une ou à plusieurs de ces questions est oui, bravo : c’est incroyable le mec de Bref est comme vous ! C’est du moins ce que l’on se dit à la vision des premiers épisodes. Après, on s’aperçoit vite que Kyan est non seulement comme nous, mais aussi comme le voisin. Et le voisin du voisin. Kyan est aussi comme le mec avec qui votre cousine sortait au collège ! Ou encore comme la nana avec qui votre meilleur pote est venue au dernier jour de l’an !

Au fond, c’est normal, car Kyan est un mec normal. Kyan était déjà un mec normal en 2011, quand ce n’était pas encore à la mode. Kyan est comme vous et moi, car Kyan est censé nous représenter. Histoire d’encourager l’identification voyez-vous. Mais le truc, c’est qu’à force de vouloir ressembler à tout le monde, Kyan ne ressemble plus à rien (ni à personne).

2 – Non, Bref n’est pas une série originale

Je ne veux pas dire par là que Bref est un remake ou une quelconque adaptation d’un concept américain ou d’un livre obscur écrit au siècle des lumières. Non, ce que je veux dire, c’est que Bref n’a rien inventé. C’est Kyan Khojandi qui le dit lui-même, au cas où personne n’aurait remarqué que sa série pompe son concept sur le film Les Lois de l’attraction de Roger Avary, lui-même adapté du livre de Bret Easton Ellis. Dans ce film, à un moment donné, un type raconte à ses potes son voyage en Europe. En moins de quatre minutes, le personnage, un certain Victor, déblatère ses mésaventures sur le vieux continent à grand renfort de mots crus. Les plans sont rapides, filmés au caméscope, il y a des fesses, de la drogue, des nichons et de l’alcool (visible ici). Kyan, certainement très impressionné par cet extrait, décide de profiter d’un séjour à Cannes pour faire la même chose. Kyan possède le support idéal pour montrer son idée géniale. Il est en effet très en vue, grâce à sa websérie Le Festival de Kyan, qui, ça tombe bien, colle avec le Festival de Cannes au niveau du titre. En une petite minute, Kyan dit « putain », utilise les mots « vomi », « branler », prend une cuite et voit Van Damme qui « pour une fois, ne dit pas des conneries » (en français dans le texte). En gros, Kyan fait un astucieux copier/coller de l’épisode Victor des Lois de l’attraction. Bref est né. Plus tard, ce petit clin d’œil (comme il l’a expliqué lors du Grand Journal à Cannes cette année) au long-métrage d’Avary, a débouché sur une série de 82 épisodes. Non, Bref, n’a rien d’original. Le seul mérite que l’on puisse accorder à Khojandi, c’est celui d’avoir pensé le premier à adapter le truc et d’avoir eu le culot de l’user jusqu’à la corde.

Quand on a vu Les Lois de l’attraction et qu’on s’est enfilé tous les épisodes de Bref, on remarque une chose : Bref à tout gardé des Lois de l’attraction à part la drogue. Les nichons (suggérés), l’alcool et le sexe sont bien là. C’est le principal diront certains, à raison. Et Bref de ne reposer que sur un savant montage rapide. Un montage qui masque une écriture scénaristique plus ou moins anémique.

3 – Bref recycle sans arrêt les mêmes idées

Tout en sachant que Bref s’inspire donc des Lois de l’attraction, il n’est pas interdit de reconnaître le talent de la manœuvre. Les 40 premiers épisodes de Bref ont plutôt de la gueule. Surtout les 20 premiers en fait, ce qui n’est déjà pas si mal. On passe sur le culot du truc qui consiste à s’approprier l’idée d’un autre pour en faire soit-disant un truc novateur, et on profite du spectacle que nous offre l’existence à moitié pathétique d’un homme qui nous ressemble.

Ensuite, on commence à tiquer sur les gimmicks de la série. Les « je l’ai regardé, il m’a regardé » par exemple. Une fois c’est super drôle, deux fois aussi, trois fois aussi, vingt fois beaucoup moins. Bref regorge de gimmicks de ce genre. Certains sont vraiment encombrants, d’autres moins, mais tous ont en commun, la faculté de se pointer à intervalles réguliers, quand l’inspiration s’est manifestement fait la malle. Probablement basée sur le principe du running gag, qui veut qu’un gag gagne en efficacité sur la longueur et la répétition, la série produite par Canal Plus prouve qu’en fait, ça peut aussi marcher dans l’autre sens.

4 – Bref et l’esprit Canal

Quand Denisot annonce le premier épisode de Bref, on sent bien que ce dernier lâche ce qu’il considère comme une bombe. Un Instant Norvégien à la puissance x 10, un Objectif Nul en devenir ! Bref est la nouvelle arme de destruction massive d’une chaine qui a bien du mal a retrouver son fameux esprit (celui -entre autres- des Nuls donc ou des Robin des Bois). Et c’est effectivement le cas dans un premier temps. Quand Mouloud Achour se la joue sérieux et politique, quand la Miss Météo ne fait plus la pluie et le beau temps sur les zygomatiques et quand Yann Barthès s’est tiré sur le plateau voisin pour présenter sa propre émission, Bref, sauve le Grand Journal de la morosité. Il supplante le SAV d’Omar et Fred dans la catégorie vignette comique et devient vite culte, sur la toile, où les fans apportent leur soutien via un max de clics.

Vient le moment, où Denisot et sa troupe se gavent de leur succès ouvertement. L’équipe de Bref est invitée sur le plateau, plusieurs fois et la série reçoit elle-même des animateurs et autres comiques de l’écurie. On s’aperçoit alors que Bref ne semble avoir retenu de l’esprit Canal uniquement que le côté communautaire. « Vient jouer dans ma série et je viendrai jouer dans la tienne ». Vous voyez de quoi je veux parler.

Sur le plateau du Grand Journal, Kyan Khojandi fait le modeste, mime l’embarras quand on le met face à son triomphe et apparaît comme quelqu’un de très fréquentable. Et finalement, ce mec est VRAIMENT comme nous ! .

Mais Khodanji et ses potes ne sont pas de nobles modestes. Leur modestie à eux ne sert qu’à cacher une auto-satisfaction assez outrancière. Le ton employé dans le communiqué visant à nous informer de l’arrêt de la série va dans ce sens. Oui, Kyan et ses amis sont des mecs sympas, et oui, ils ont un certain talent. Mais, ne vous inquiétez pas pour eux, ils sont au courant !

5 – Bref est une machine de guerre dédiée au politiquement correct

Attention ! Je ne suis pas en train de dire qu’une série ou qu’un film doit forcement défier la morale et la bien-séance pour être réussi. Pas le moins du monde. S’il suffisait de péter, de montrer son sexe en gros plan, de prendre de la coke et de piétiner le drapeau devant la caméra pour faire une bonne fiction, ça se saurait. Le truc, c’est d’assumer. Et Bref n’assume pas. Du moins, pas 100% du temps.

Et cette tendance est devenu spécialement notable durant la seconde partie de la série, à partir de l’épisode 40, quand elle a commencé à manquer de thèmes issus de la vie quotidienne. Bref. Je suis vieille est un bon exemple. La narration est inversée et en gros, exprime un message certes important, mais illustré avec la finesse d’un super tanker. Pour autant, on pardonne l’exécution, car le dit message est noble. C’est là où Bref devient irritante. La série abandonne de plus en plus l’humour empathique pour brasser des thèmes de société forts, jouant les donneurs de leçons.

C’est pire, lorsque Bref devient onirique et métaphysiquement contemplatif (cf. Bref. On était des gamins ou Bref. J’y pense et je souris qui est certainement l’un des épisodes les plus maladroits gonflants de la saison). Alors ouais, Kyan est un branleur (au propre ET au figuré), il met les clés usb à l’envers, ne parle pas anglais alors que son c.v. dit le contraire, trompe sa copine et picole jusqu’au coma, mais au fond, c’est un type bien. Un type bien comme vous et moi ? C’est bien pratique quand on veut brosser ses fans dans le sens du poil non ?

Si on ne devait retenir qu’un seul mérite à Bref, (qui ceci-dit en passant en a quand même plusieur)s, c’est celui d’avoir su s’arrêter. En à peine 10 petits mois, Bref a gravi les échelons à une vitesse incroyable pour devenir LA série française à ne pas rater. Elle a ensuite trébuché, tiré sur la corde, s’est répétée, a fait preuve de lassitude et enfin s’est arrêté. D’habitude quand quelque chose marche, cela dure plus longtemps. Ici non. Bref c’est fini et le bilan est mitigé. L’avenir nous dira si l’histoire de la télévision rendra la chose anecdotique ou finira d’entériner ce « phénomène de société » autoproclamé et porté par presque 3 000 000 de fans Facebook…

@ Gilles Rolland