Atget : Paris, et quoi d’autre ?

Publié le 04 juillet 2012 par Marc Lenot

Eugène Atget, Galerie Vivienne, 1906

L’exposition Atget au Musée Carnavalet (jusqu’au 29 juillet) est une exposition sur le Paris de Atget, et quasiment rien d’autre. On y voit fort bien l’aspect documentaire de son travail, ses témoignages sur un passé en voie de disparition, et ce travail de mémoire est très intéressant. Mais d’une part, ces vues de Paris ne semblent présentées ici que sous cet angle documentaire et ‘passéiste’, sans s’intéresser beaucoup à d’autres facettes de ce même travail, comme la manière dont Atget ‘travaille’ beaucoup plus les reflets que les ombres, qu’il écrase le plus souvent au lieu d’en sculpter l’espace, par exemple (fort peu d’exemples ici de ces jeux de reflets dans les vitrines dont il est si familier, sinon –et j’y reviendrai- dans la salle dédiée à l’Album Man Ray) ; peu d’échos non plus entre ses vues des passages parisiens (un seul ici, Vivienne, où on devine quelques fantômes, temps de pose oblige) et toute la mythologie de ces passages, entre Baudelaire et Benjamin.

Eugene Atget, Entrée de la cour, 9 rue Thouin, 1910

Si des photographies remarquablement construites sont montrées ici, elles ne le sont que comme documents (et ce sont en effet des ‘documents’ que Carnavalet, puis la BN, achetèrent à Atget, pas des œuvres d’art), et non comme des photographies transcendant cet aspect documentaire. Voici, entre autres, la cour du 9 rue Thouin, dans le Vème Ardt (1910) : deux pans verticaux pierreux, un horizon bouché par un pan blanc où se devine un dessin estompé (publicitaire ?) et d’où on ne s’échappe que par la forme arrondie et lumineuse d’un passage vers un autre lieu, un autre monde, et la rigole d’eau noire sur le sol pavé. C’est, à mes yeux, une des plus complexes des photos architecturales d’Atget, visiblement soigneusement réfléchie, cadrée, composée, et on ne peut la limiter à une photo documentant le 9 rue Thouin.

Eugène Atget, Etude de nu, 1926

A parcourir l’exposition, on pourrait ignorer la raison sociale d’Atget, ‘Documents pour Artistes’, la finalité même de son travail, au service des peintres (comme l’expo de la BNF en 2007 le montrait fort bien). Ce n’est guère que dans la salle où est présenté l’album que Man Ray confectionna à partir des photos qu’il acheta à Atget (et qui est aujourd’hui à Rochester ; certains tirages originaux n’ont pas pu voyager, hélas) qu’on retrouve (une fois passé le sas de la climatisation spécifique de cette salle, fort symbolique…) un autre Atget, celui qui joue des reflets, celui qui photographie des nus. Cette étude de nu, femme vue de trois quarts arrière, dont les seins obus semblent jaillir du corps, est peut-être arabe ou métisse ; sa chair semble mordorée, fluide, aux couleurs ondulantes, alors que, dans son voile blanc qui la couvre de la tête au bas du dos mais ne dissimule rien, l’ombre des plis semble tracée au crayon. Le contraste du traitement photographique entre chair et voile est saisissant.

Eugène Atget, L'éclipse, 1912

Enfin, voici la première photographie d’Atget que son voisin et 'découvreur' Man Ray publia, le 15 juin 1926, en couverture de la Révolution Surréaliste (Atget demandant que son nom ne figure pas) : cette foule place de la Bastille, en attente, le nez en l’air, regarde, en fait, le ciel pendant l'éclipse du 17 avril 1912. Le détournement artistique surréaliste renomma la photographie 'Les Dernières Conversions".

Pour la petite histoire, les conservateurs ont identifié, dans la photographie d’un groupe d’enfants devant Guignol au Luxembourg, le jeune Lartigue et son frère (au deuxième rang à droite) : une filiation inattendue…