Damien Rice solo à la salle Pleyel Paris 05 juillet : le jour où un de mes voeux les plus fous a été exaucé

Publié le 06 juillet 2012 par Notsoblonde @BlogDeLaBlonde

Jeudi 05 juillet, Paris.

L'été.

Il flotte dans l'air comme une odeur de bonheur.

Malgré la pluie. Le ciel trop bas. Et les passants hargneux.

Il y a dans l'air parisien un je-ne-sais-quoi qui rend l'air plus léger et qui me fait accélérer le pas. Enfin  un je-ne-sais-quoi. Si on veut. Parce que je sais un peu. En vrai.

Ce soir, je vais voir Damien Rice à la salle Pleyel dans le cadre du festival Days Off. Tu sais, ce festival parisien qui fait la part belle à des évènements d'exception réunissant des artistes triés sur le volet pour des soirées souvent uniques. Il y a deux ans j'avais assisté à Let It Be Live (c'était ici, ça se passait à Pleyel aussi et c'était assez fou) et l'an dernier j'avais eu la chance de pouvoir participer à The Velvet Underground Revisited et à Jacno Future à la cité de la Musique ainsi qu' au concert de Cat Power à Pleyel aka la plus grosse déception musicale de ma vie (à ce jour).

Alors hier soir je me dirigeais d'un pas léger vers la salle Pleyel avec tout de même un peu d'anxiété logée là, au creux de l'estomac. A bien y réfléchir j'étais partagée. Entre l'envie de me réjouir à l'avance du concert incroyable qui m'attendait (parce que Pleyel, parce que Damien Rice qu'on n'avait pas revu dans la capitale depuis 5 ans, etc...) et l'angoisse larvée que celui que je considère comme un monstre sacré (que je range au sommet de mon palmarès personnel)(ex aequo avec quelques autres que je chéris particulèrement) au même titre que Cat Power ne vienne à saboter la soirée comme son équivalent féminin l'avait odieusement fait l'an dernier.

Une fois sur place, l'excitation prend clairement le pas sur l'inquiétude d'autant qu'au moment de se placer je réalise que je suis devant la scène. En prenant les places, le serveur ne me permettait que de choisir une catégorie, je n'avais donc aucune idée de l'endroit où j'allais atterrir et je réalise avec bonheur que c'est devant. Attends, j'espère que tu comprends que quand je dis devant c'est DEVANT. Genre au premier rang. Oui-oui. Tout devant. Joie. Je ne vais rien rater de ce qui va se passer.

Bien entendu je décide d'immortaliser l'instant et avec Swann on pose nos pieds sur la scène, en mode "comme à la maison" et on rit de ma bêtise. Là, une des personnes installées derrière moi me demande si, à tout hasard, je ne serai pas "La Blonde" accompagnée de "Swann". Sourires. "Mais oui!" je dis. "Qui es tu, toi?" j'ajoute. Et elle m'explique. Morgane M. Ecoute là il faut que je te dise c'est dingue...Quand j'ai commencé le blog il y a plus de deux ans maintenant j'ai enchainé quelques concerts et il se trouve que Morgane est une des personnes qui étaient là souvent, aux mêmes concerts que moi. A Tom Mac Rae par exemple. Mais il y en a eu plein d'autres (si mes souvenirs sont bons) et on a un peu échangé par Facebook interposé mais c'est tout on ne s'était jamais vues en vrai.  C'est amusant comme il est agréable d'enfin rencontrer des gens qu'on a seulement imaginé et dont on sait qu'on partage avec eux une même sensibilité. J'aime vraiment beaucoup ça. Là c'est le cas.  On discute un peu. Je prends ça comme un signe du destin qui augure d'une bonne soirée. Et je me remets à papoter avec ma voisine.

Puis le concert commence.

Première partie lénifiante.

Tomorrow's world c'est le duo formé par Jean Benoit Dunkel (la moitié de Air) et Lou Hayter. Bon. En arrivant je n'en avais aucune idée. Mon quotidien ayant été bien occupé ces derniers temps j'avais décidé de me laisser surprendre. 

Arg.

En guise d'apéritif sonore, c'est une électro planante parfois réveillée par des percussions obsédantes qui nous est servie. Pourquoi pas, j'aime les ambiances créées qui donnent envie de se reposer, qui sont une invitation à la relaxation. A l'entracte, on me parlera de "musique pour s'endormir" ou" pour se faire masser". J'acquièscerai. Bon, la musique ça va. Mais je me pose quand même la question (dès le début mais l'interrogation m'habite d'un bout à l'autre de la prestation de TW) de l'utilité de la voix féminine. Pas toujours juste. Servant des textes souvent creux et répétitifs. OK je peux comprendre qu'il s'agit seulement d'un motif voué à être répété pour sa musicalité sans servir un sens à proprement parler mais j'avoue que ça me lasse très vite. Il faut reconnaitre par contre que la belle Lou est sculpturale. Moulée dans une robe toute pailletée qui étincelle sous les pots, elle rappelle la tenue de scène très hollywoodienne de Brigitte. J'admire et je ne peux m'empêcher de me dire que c'est un peu copié sur le style de mon duo fétiche. Ca m'agace.

Côté attitude et mise en scène : nada. La belle Lou se contente de vaguement remuer en prenant de temps en temps des poses un peu lascives et en jouant avec ses cheveux. C'est la Lana-Del-Rey-Attitude, je repense "copieuse" et me permet de remarquer que copier seulement ça sur la belle Lana sans tenter d'adopter son phrasé lascif incroyablement érotique et sans avoir son grain de voix c'est quand même insuffisant. Mais enfin pourquoi pas. En tout cas je n'accroche pas.

C'est agréable à écouter entendons nous bien mais il me semble que se produire sur scène pour un tel projet est assez inutile : il ne se passe rien. Ou presque. L'intérêt du live me semble ici complètement remis en question.

Entracte. Papotages et retour dans la salle. Comble. Qui frémit et crie avant l'arrivée de celui qui est annoncé en tête d'affiche ce soir et que nous étions vraisemblablement nombreux à avoir envie de retrouver. Frissons partagés.


Quand il arrive il est seul en scène avec sa guitare, veste et pantalon de velours camel, baskets et chemise colorée en patchwork complètement déchirée des coudes aux poignets comme le public pourra le constater un peu plus tard, quand, souffrant de la chaleur de l'endroit, il se décidera à tomber la veste et à plaisanter de son allure un peu négligée. Il arrive échevelé. Boucles défaites, barbe prononcée. Pas spécialement apprêté. Guitare éliminée, trouée. Il me rappelle un autre Hobo, comme ça, sur l'instant.

Il entonne "The professor *La fille* danse" et c'est tellement beau, juste sa voix et ses mots que mes yeux se mettent à couler. Record battu, ça promet : un morceau à peine et déjà mes yeux cèdent à l'émotion...Il faut dire que la fin de la chanson est en français et que l'entendre chanter comme ça, fredonner la mélodie de la fin du morceau c'est tellement beau... Il enchaine sur "Delicate" (qui est un de mes morceaux préférés) puis interprète un titre annoncé comme un inédit, les yeux clos. Recueillement partagé, instant de grâce figé.

Il se débarasse de sa guitare pour s'installer au piano et doit faire face à un petit contretemps technique .Un ampli est défectueux, il doit être remplacé par "son petit frère" nous prévient il. Pendant le changement il s'amuse et joue au magicien, faisant mine de faire disparaitre l'ampli défaillant pour le remplacer par un autre plus performant. Il s'amuse de sa singerie en riant comme un enfant. Ciel, que cet homme est charmant!

Il est assis, au piano, seul et c'est dans ces conditions qu'il interprète Accidental Babies. Le concert est commencé depuis peu mais chaque moment me semble un peu plus savoureux que le précédent. A tel point qu'à la fin de ce morceau je me retiens de me lever pour l'applaudir debout. Je parcours l'assistance rapidement : les yeux sont embués, les regards fascinés, emplis d'une admiration sincère mais l'heure n'est pas (encore) à la démonstration de joie. J'attendrai un peu pour la communion joviale.

C'est Volcano qui suit, il est seul en scène, je n'ai pas l'habitude d'entendre le morceau sans le violoncelle qui l'habille habituellement mais j'adore cette version dépouillée. A un moment, Damien se baisse en continuant de gratter sa guitare et demande à l'assistance "on va voir si les français, si les parisiens sont de bons et de belles chanteurs". Il s'explique : "Vous croyez que vous êtes de bons chanteurs?" (réponse timide de la foule qui ne comprend pas trop) il s'explique "à partir de maintenant, si vous pensez que vous êtes un bon chanteur, venez avec moi sur scène " (tout ça en français s'il vous plait). Là, ni une, ni deux, on se regarde avec Swann et on se dit en même temps "on y va", je me retourne vers Morgane "on y va?" Je crois que l'hésitation dure une fraction de seconde et on part. On se hisse sur la scène (OK on a peu de mérite on est au premier rang) et on s'installe derrière Damien. Parmi ce qui me semble sur le moment être une foule d'une trentaine de personnes mais qui, après visionnage d'une vidéo du moment, semble plutôt être composée d'une cinquantaine de volontaires motivés pour former une chorale éphémère. 


(oui bon cette photo est toute pourrie mais je tremblais un peu voilà-voilà)

Pince-moi je rêve : Je suis là, sur la scène de la salle Pleyel, salle mythique s'il en est, avec Damien Rice pour chanter Volcano sous sa direction. J'ai peine à réaliser tellement l'instant est magique, je te promets!

Il sépare le groupe en trois et lance un choeur en canon sur lequel il pose sa voix. C'est incroyable, c'est puissant et doux à la fois, c'est magique et je fais partie de ce moment là, laisse moi te dire que je n'oublierai pas ces quelques minutes de sitôt. 

J'y étais bon sang. J'y étais.

Chacun retourne à sa place, pour ma part encore un peu ailleurs, pas vraiment sur scène mais pas complètement redescendue non plus. Flottante je suis. De retour à ma place je réalise un peu et mes yeux coulent à nouveau. Pas du gros sanglot, non. De la larme d'émotion silencieuse, digne dans son émoi. De celles qu'on n'entend pas mais qui révèlent un vrai trouble intérieur. Une indicible joie liquide.

Damien enchaine sur Older Chests, Woman like a man, Coconut skins (You can wait for ages, Watch your compost turn to coal, But time is contagious, And everybody's getting old) : la salle marque le rythme avec lui en tapant dans ses mains, la voix se fait plus puissante : le morceau se termine sur une superbe montée. La beauté.


Puis Damien tombe la veste en mimant un striptease dont il s'amuse franchement, un rien cabotin. Il dévoile alors sa chemise déchirée, semble s'observer un instant et explique en anglais qu'il n'achète pas souvent de vêtements et que les gens lui en font souvent la remarque. Qu'il se contente de laver les vêtements qu'il achète, tous les trois jours à peu près. Et rit. De façon très sonore (je suis, à ce stade de la soirée, complètement sous le charme de l'irlandais, est-il encore vraiment utile de le préciser?). Il improvise un début de morceau à propos de son improbable mise "he doesn't wash his clothes..." rit plus fort, la salle avec lui : complicité tangible.


Puis, avant et après le morceau suivant (le sublime 9 crimes), il raconte avec force anecdotes ce qui fait sa vie, sur le ton de la confidence amusée. Histoires de coeur (toujours un peu tristes mais un peu drôles aussi), épisode incendiaire à base de bougies oubliées et de retour forcé au domicile parental, évènement responsable d'une période de dépression passagère...Damien prend un plaisir évident à se raconter et à relater les conditions dans lesquelles il a écrit ses chansons. Ponctuant ses histoires de petites remarques piquantes "J'ai appelé un de mes amis qui est quelqu'un de très positif""et qui donc n'est pas un musicien bien entendu!" (sourire), "j'ai regardé par la fenêtre et bon, bien sûr il pleuvait : et oui, c'est l'Irlande, hein chez moi!"  l'ambiance de la salle Pleyel que je m'accorde toujours à reconnaitre un peu froide est on ne peut plus chaleureuse... Pas de doute, Damien est lui aussi un mugicien.

Il chante Amie  et c'est superbe, même sans les violons, puis vient Elephant, I remember et Cannonball qu'il chante sans micro, juste au bord de la scène. Magie.

Il s'arrête là dessus, déposant juste sa guitare à ses pieds, saluant poliment le public, le remerciant et s'éclipse. 

La salle est debout et un tonnerre d'applaudissements retentit : il revient. Pour des rappels d'anthologie. Sans exagérer. 


Tout d'abord, il interprète "Rootless tree" au piano puis demande à ce que toutes les lumières s'éteignent et il choisit de chanter dans l'obscurité totale "Cold Water" (je ferme les yeux, renverse ma tête sur le dossier et me laisse bercer : c'est un incroyable voyage que celui dans lequel je m'engage, guidée par sa seule voix) et sans transition il enchaîne sur "Hallelujah" de Leonard Cohen (qui a été repris et popularisé par Jeff Buckley), a cappella. Simplement éclairé d'un spot lumineux situé au dessus de lui. C'est épuré. Superbe.

Ensuite six spots s'allument derrière lui et créent un halo lumineux bleuté pour "The Blower's Daughter". L'instant touche au sublime.


Puis il invite une jeune fille du public dont il prend soin de vérifier avant qu'elle n'a pas besoin de conduire et qu'elle aime le vin, à le rejoindre sur scène. Il débouche une bouteille de vin rouge disposée sur la petite table entourée de deux chaises installée sur scène. Et remplit les verres. Qu'il descend en invitant sa partenaire à en faire autant tout en racontant une anecdote à l'origine du morceau que cette petite mise en scène introduit joyeusement : "Cheers Darlin'". Quand vient le moment de chanter, une fois que la bouteille est terminée, il est très joyeux (cet homme a le vin gai, décidément il est parfait!) et chante les yeux brillants avec l'attitude qui convient à ce titre si particulier...

Pour information, l'histoire veut que le titre a pour origine une rencontre un soir dans un bar, avec une jolie fille dont il tombe amoureux. Il discute et boit avec elle puis rate son bus pour rentrer chez lui. Coincé là il enchaine les verres mais n'ose pas se lancer et elle finit par annoncer qu'elle va devoir y aller parce que son fiancé vient la chercher. Dur. Il raconte être rentré chez lui, comme il pouvait et qu'en rentrant il a écrit ce titre. Tristesse. Mais il finit aussi en expliquant qu'un an et demi la belle et son homme ont rompu et qu'il a récupéré "le trésor" (en même temps, tout vient à point à qui sait attendre, dit l'adage, hein).

Il quitte la scène un peu titubant, sous les acclamations de la foule.

Puis il revient une dernière fois, rappelé par la ferveur du public qui ne semble pas devoir diminuer. Il reprend sa guitare et demande au public ce qu'il souhaite entendre. Les réponses fusent. Parmi elles "Jacques Brel". Il explique qu'il a été initié à Jacques Brel par une de ses compagnes, française qui adorait en particulier "Ne me quitte pas" mais qui lui avait interdit de l'interpréter sous prétexte que "personne ne peut la chanter comme lui" alors il poursuit, expliquant qu'il l'a revisitée, en faisant "sa version à lui" du morceau. Qu'il nous livre en guise d'adieu.

Rideau final sur une soirée qui restera comme un des plus beaux concerts de ma vie.

Immense respect pour Mr Damien Rice.

Vivement qu'un nouvel album arrive et qu'il reprenne une vraie grande tournée pour le faire vivre sur scène. Des moments comme ceux là sont trop rares.

NDR : Comme tu l'auras remarqué toutes ces photos ont été prises avec mon téléphone portable, d'où leur piètre qualité mais enfin l'idée est de rendre un peu des moments partagés de soir là, voilà tout :)