Roberto Juarroz – Poème (1958)

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Je pense qu’en ce moment
personne peut-être ne pense à moi dans l’univers,
que moi seul je me pense,
et si maintenant je mourais,
personne ni moi ne me penserait.

Et ici commence l’abîme,
comme lorsque je m’endors.
Je suis mon propre soutien et me l’ôte.

Je contribue à tapisser d’absence toute chose.
C’est pour cela peut-être
que penser à un homme
revient à le sauver.

*

Pienso que en este momento
tal vez nadie en el universo piensa en mí,
que solo yo me pienso,
y si ahora muriese,
nadie, ni yo, me pensaría.

Y aquí empieza el abismo,
como cuando me duermo.
Soy mi propio sostén y me lo quito.

Contribuyo a tapizar de ausencia todo.
Tal vez sea por esto
que pensar en un hombre
se parece a salvarlo.

***

Roberto Juarroz (1925-1995)Poésie verticale (Poesía vertical, 1958) – Traduction de Roger Munier