Qu’y a-t-il de plus décousu que notre imaginaire ? Et de moins poétique que la matière ? On croit que les images mentales se suivent en cascade, mais sans ordre, et de façon un peu folle. Que ce qui les stimule et les nourrit sont nos idées, nos fantasmes ou nos sentiments… Et si c’était la matière ?
Sans doute ne rêvons-nous pas au hasard et suivons-nous souvent un fil. Or, quoi de plus insistant pour inspirer nos songes que des éléments ? Y a-t-il cause plus entêtante, origine plus vigoureuse, plus consistante ?
Il n’y a qu’à se pencher sur l’eau, et voir jaillir d’elle toujours les mêmes images et les mêmes rêves. Nos songes au bord de l’eau sont tour à tour tristes et joyeux. L’eau nous rend mélancolique, car elle évoque la fuite et le passage, le temps qui passe, emporte et efface. Il y a de la mort en elle, nous dit Bachelard, du désespoir. Ce pourquoi lui sont attachés des destins funestes. Et jusque dans nos douleurs, l’eau pleure avec nous.
Mais comme elle est fluide et fuyante, ces images passent vite, et elle incarne tout autant le temps de l’amusement. L’eau est gaie car elle est superficielle et changeante… L’eau égaie, car c’est l’élément de la métamorphose.
Nous pouvons enfin l’aimer passionnément, car elle est aussi femme, et mère. L’eau a des courbes aux suggestions irrésistibles, comme ses ondulations douces et chatoyantes. D’où les transports et les émois qu’elle provoque parfois. Et comment n’évoquerait-elle pas la mère nourricière, le souvenir reconnaissant de celle qui abreuve, porte, berce et endort ?
Telle est donc la thèse de l’imagination matérielle : souvent, à l’origine d’une rêverie ou d’une pensée, il y a un élément, un conducteur matériel puissant, déchargeant des symboles riches, tenaces et stimulants.