Où en sommes-nous avec la laïcité ? (Recension)

Publié le 19 juillet 2012 par Tchekfou @Vivien_hoch

Remontons le livre en reprenant rapidement chacun de ses aspects et en tirant – ce que ne fait pas l’auteur – quelques observations intéressantes pour notre site.

Le dernier chapitre (IV) sur le “vivre ensemble” pointe la fonction politique réelle de la laïcité en France : le passage à une société multiculturelle et multiconfessionnelle. L’auteur oppose une laïcité d’abstention, tentée “d’ignorer le fait religieux et de l’exclure de l’espace public”, et une “laïcité positive”, voyant les religions comme un atout : “la République seule, disait l’ancien Président, ne pouvant pas produire du sens à la vie”.

Qu’elle soit d’abstention ou positive la laïcité, malgré le souhait perceptible de l’auteur de la brochure, n’atteindra pas le but recherché de pacification sociale. Car, refouler dans la sphère privée les manifestations extérieures du culte exacerbe les communautarismes, bientôt rivaux dans l’influence et concurrents dans la victimisation. Ou, au contraire, permettre une expression ouverte des différentes religions (et la France est de très loin le premier pays musulman, juif et bouddhiste d’Europe) heurte un troisième sens de la laïcité, un sens non répertorié mais bien réel pour les Français de coeur et de moeurs : celui de l’indifférence religieuse, voire la phobie des préoccupations religieuses.

Cette contradiction (à nos yeux, car l’auteur, rappelons-le, ne prend pas parti et s’en tient à verser des pièces au dossier) se retrouve dans le statut juridique de la notion. Elle prétend établir “une neutralité de l’Etat en matière religieuse” mais dissocie le sacro-saint principe de l’interdiction de subventionner les cultes (ex. avis du Conseil d’Etat du 16 mars 2005) et multiplie les dérogations pour les dons, le mécénat (loi de 1987) et les financements par les Collectivités (arrêts du 19 juillet 2011). Bref, le sort juridique du principe est dans les mains du juge administratif (j’ajoute à cet égard que l’inscription dans la Constitution de la laïcité, non plus comme adjectif mais comme principe, modifiera son application actuelle – ramenée à l’égalité de traitement des religions – en une surenchère effrénée aux avantages comparés entre elles).

C’est un héritage de l’histoire qu’examine le chapitre II. Car ce “principe” fut, comme on sait, une machine de guerre des républicains pour combattre l’ancienne France et asseoir un régime, alors que les Français, en très large majorité catholiques, souhaitaient le retour de la monarchie. De l’aveu de René Viviani, la neutralité affichée de l’Etat en matière religieuse était “un mensonge nécessaire”, “une chimère inventée pour rassurer quelques timidités” (L’Humanité 4/10/1904 ). On connaît la suite et les inventaires sanglants de 1906.

Venons-en enfin au “principe” de laïcité. L’auteur en souligne les ambiguïtés car ce principe proclame la neutralité religieuse de l’Etat, un libéralisme garant soi-disant de la liberté de conscience et de culte, mais ne dit rien du laïcisme anti-religieux, rien des réalités de religions qui ne séparent pas le spirituel du temporel en en faisant moins une notion principielle qu’une simple “norme ouverte” en langage de droit, rien non plus des exigences de la foi en réduisant ses manifestations à une religion intérieure au contenu moral imagé…