Après une décennie au cours de laquelle les distributeurs ont tenté d’implanter ce vif et excitant cinéma coréen dans les mœurs cinématographiques des français, l’heure ne semble plus être à l’utopie. Les tentatives successives ont échoué et l’époque ne fait que le confirmer. Le cinéma coréen ne parvient toujours pas à s’imposer au-delà du public art & essai, et c’est le format DVD qui a aujourd'hui la primeur des films coréens. Le 1er août prochain, c’est le budget le plus imposant de l’histoire du cinéma coréen qui sortira directement en DVD, « Far Away, les soldats de l’espoir ». Tout un symbole, puisque son réalisateur est Kang Je-Kyu, dont le « Shiri » avait été le premier blockbuster coréen à sortir en salles France, en 2001, auréolé de son succès monstre en Corée où il avait battu les records du box-office local. Le film suivant du réalisateur, « Frères de sang » eut encore plus de succès en Corée (10 millions de spectateurs en salles), avec un plus grand budget encore, et une sortie plus visible en France au printemps 2005.
La démesure du film est à l’image de l’histoire vraie qu’elle dépeint. D’emblée, on sent bien que « Far Away » ne fera pas dans la subtilité et l’économie. C’est une fresque, grande, ample, qui cherche à vous prendre aux tripes et à ne vous relâcher que 2h20 plus tard. L’excès de mélo peut faire tiquer, tout comme ce patriotisme exacerbé qui se fait jour dans la première partie du film. Cette vieille rancœur entre Corée et Japon est vivace, et il ne faut pas attendre de Kang Je-Kyu qu’il atténue cela. Ses japonais sont vils, détestables, quand ses coréens sont la bonté incarnée. Inutile de dire qu’un soupçon de finesse dans ce portrait des relations entre japonais et coréens aurait été apprécié, mais heureusement à mesure que le film avance, le réalisateur parvient à affiner son propos. Le discours sur la cruauté de l’occupation japonaise devient de fil en aiguille un regard sur la corruption du pouvoir et l’avilissement du conflit. Comment avoir l’ascendant sur autrui peut corrompre l’âme et pousser à commettre l’impardonnable. En faisant traverser le monde à ses protagonistes, le réalisateur parvint à s’éloigner de l’indécrottable différend entre coréens et japonais pour regarder plus loin et parvenir à poser une observation plus générale sur les méfaits de la guerre. C’est peut-être basique, mais après une mise en route si clichée, cela redonne au discours un certain équilibre.
J’aimerais que tout le monde puisse découvrir « Far Away » sur grand écran comme j’ai eu la chance de le faire. Il y a des films qui demandent clairement à être vus dans une salle obscure, et « Far Away » ne se contente pas de le demander, il le crie. Il faudra se contenter du DVD. Si le film avait autant cartonné en Corée que les précédents Kang-Je-Kyu (il a déçu quand il est sorti à Noël dernier, ramant pour atteindre les 2 millions d’entrées, une déception en regard de son budget), aurait-il eu droit à une sortie en salles ? Peu probable. Haeundae, qui avait cartonné au box-office coréen en 2009, était sorti directement en DVD en France sous le titre « The Last Day », déjà chez Wild Side, et le direct-to-dvd avait marché. La conjecture du cinéma coréen en France semble dépasser les films au cas par cas. Faut-il pour autant renoncer aux rêves d’un cinéma coréen populaire dans les salles françaises ? Cela reste utopique, mais je ne renonce pas.