Tombe pas dans le piège

Publié le 20 juillet 2012 par Alain Dubois

Lundi dernier, la Fondation Mise sur toi a lancé une nouvelle campagne qui s’adresse aux joueurs de loterie vidéo. Dans son communiqué de presse, Mise sur toi réaffirme qu’elle est un organisme indépendant de Loto-Québec. Rappelons néanmoins que Mise sur toi est une ancienne filiale de Loto-Québec qui a été déclarée indépendante durant le recours collectif que des joueurs pathologiques ont soutenu contre Loto-Québec entre 2002 et 2009. Quoi qu’il en soit, on constate que la campagne Tombe pas dans le piège est plus critique que Loto-Québec à l’égard des risques et dangers qui sont associés au jeu sur ALV.

Une brochure a été produite ainsi qu'un site web bizarre (certainement intriguant pour un curieux) où on trouve des énoncés étonnants.

En particulier :

  • Le titre de la campagne n’a certainement pas été suggéré par les avocats de Loto-Québec.
  • On associe clairement les risques et dangers au développement d’une illusion de contrôle.
  • On indique que l’appareil est programmé pour favoriser l’illusion de contrôle, la perception de quasi-gains et une perte d'argent accélérée.


Ce discours tranche radicalement avec celui de Loto-Québec qui n’admet aucun lien entre les caractéristiques du jeu sur les appareils de loterie vidéo (ALV) et le jeu pathologique (voire les problèmes de jeu) (voir page 10 du rapport annuel 2009-2010 de Loto-Québec).

Malgré cet effort pour se distancer de Loto-Québec, cette campagne de Mise sur toi reste centrée sur le credo de l’industrie, soit le jeu responsable … dit autrement : pour régler les problèmes de jeu, on demande surtout au joueur de se prendre en charge, et on laisse l’industrie faire ce qu’elle veut sans rendre de compte à personne sauf à ses actionnaires.

Cette campagne témoigne certainement d’un effort pour faire mieux. Mais, elle présente cinq défauts qui vont à contresens de l’état actuel des connaissances.

1) En 2012, les jeux express (et autre jeux contre la machine sur EspaceJeux) sollicitent les mêmes processus psychologiques, et stimulent la création des mêmes événements, qui participent au développement des illusions de contrôle. Pire, le taux de remise (l’élément pathogène fondamental) y est plus élevé. Pourquoi cette campagne omet-elle d’inclure le jeu sur Internet dans la liste des appareils de jeu auxquels la campagne fait référence?

2) L’information donnée aux joueurs indique que les risques et dangers sont de développer une illusion de contrôle. Mais, on n’indique pas concrètement comment on développe cette illusion, ni comment s’en prémunir. C’est comme afficher sur une autoroute un immense panneau indiquant de faire attention, mais en omettant de dire à quoi il faut porter attention. Plus particulièrement, la liste des caractéristiques favorisant le développement des illusions de contrôle est beaucoup plus longue que ce qui est mentionné dans la figure précédente.

3) En maintenant le joueur dans l’ignorance des mécanismes de l’illusion de contrôle, et en lui proposant de limiter sa dépense et son temps consacré au jeu, Mise sur toi propose davantage des mesures palliatives que des mesures préventives. Une fois la dépendance au jeu installée, la réduction de la dépense au jeu (ou du temps consacré au jeu) a surtout comme conséquence de rendre la dépendance (la perte) plus tolérable et, conséquemment, plus difficile à détecter par l’entourage des joueurs. Sans connaissance du processus pathogène, ces mesures ont un potentiel iatrogène élevé. À cet égard, l'objectif des mesures palliatives apparaît être à double tranchant. N'oublions pas qu'un client qui fait faillite, qui se suicide, ou qui en vient à requérir une aide clinique professionnelle est un client perdu.

4) La probabilité de développer des problèmes en jouant sur les ALV est manifestement mal exprimée : Près de 1 joueur sur 5 a des habitudes de jeu problématiques. En premier lieu, il faut mentionner que cette proportion est fondée sur un test de dépistage qui, appliqué par une firme de marketing, a généré 82% de faux positifs et 57% de faux négatifs lors de l’étude de 2002 (voir page 17). Bref, cette façon de faire, répétée en 2009, n’a aucun appui psychométrique sérieux. Ensuite, le dénominateur de cette proportion englobe une majorité de joueurs qui n’ont joué qu’une fois, ou seulement quelques fois, durant l’année. La statistique pertinente à publier est le pourcentage de joueurs avec problème parmi les joueurs réguliers sur ALV.

En 2002, une étude fédérale (Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes) (cycle 1.2) a permis d’évaluer que la probabilité d’être un joueur avec problème (risque modéré ou sévère) augmentait considérablement avec la fréquence de jeu sur ALV; passant de 24% chez ceux qui jouent environ une fois par mois à 44% chez ceux qui jouent une fois par semaine ou plus (voir page 58 de ce rapport).

5) La perte potentielle d’argent sur les ALV est aussi particulièrement sous-estimée. Le site web de la campagne (tombepasdanslepiege.com) suggère que la dépense annuelle moyenne des joueurs québécois sur les ALV serait de $1388. On cite en référence l’étude de prévalence du jeu de 2009 (Ne surtout pas confondre entre ENHJEU et EMJEU. Difficile de vouloir s'enfarger plus que ça).

Lors de l’étude de prévalence de 2002, nous avions déjà constaté que la dépense moyenne, rapportée par les joueurs participants à ce type de sondage, n’estimait que 35,7% de la dépense réelle telle que rapportée dans le rapport annuel 2001-2002 de Loto-Québec. Dans le tableau suivant, les colonnes en bleu rapportent les données des rapports annuels de Loto-Québec concernant le revenu net des ALV (bref, l’argent perdu par les joueurs). En vert, ce sont les données des études de prévalence correspondantes en 2002 et 2009.

Selon l’étude de 2002, 7,8% de la population a joué au moins une fois au cours des 12 derniers mois (2001-2002). Ce pourcentage représente 431400 joueurs qui ont rapporté une dépense annuelle moyenne de 884 dollars. Si on multiplie ce nombre de joueurs par leur dépense moyenne, on obtient un revenu net estimé de 381,4 millions de dollars. En fait, cette année-là, le revenu net des seuls ALV a plutôt été de 1067,5 millions de dollars. Par conséquent, dans l’étude de prévalence de 2002, la somme rapportée ne représente que 35,7% de la réalité. La dépense annuelle moyenne était en fait de 2475 dollars … trois fois plus.

Lors de l’étude de 2009 (voir page 33), la dépense moyenne rapportée par les joueurs ne représente que 37,3% des revenus rapportés par Loto-Québec. Dès lors, le coût annuel moyen du jeu sur ALV est de 3726 dollars plutôt que 1388!

Par surcroît, ces données de 2009 pourraient déjà être obsolètes. Entre 2002 et 2009, le nombre de joueurs annuels sur ALV a diminué du tiers (de 431400 à 285233) alors que la dépense moyenne rapportée a augmenté de 57% (de 884 à 1388).
Photos : captures d'écran du site tombepasdanslepiege.com et du rapport complémentaire de 2007 du recours collectif.