"197 jours, un été en Kapisa" : Entretien avec Julien Panouillé, tireur de précision au 1er RCP

Par Theatrum Belli @TheatrumBelli

THEATRUM BELLI : Bonjour Julien, ce week-end alors que je conversais avec un ancien collègue du 1er RCP, il me racontait que lors des 6 mois que le régiment avait passé en Afghanistan durant l’été 2011, un jeune tireur d’élite avait tenu un journal qui sortira bientôt sous la forme d’un livre ; Ce jeune parachutiste, c’est toi, peux tu te présenter un peu plus aux lecteurs de TB ? 

Julien : Bonjour, oui avec plaisir. Julien Panouillé, j’ai 24 ans et je suis originaire de Montélimar dans la Drôme, le pays du nougat. J’ai fais des études dans l’hostellerie avant de travailler dans un hôtel-restaurant de ma ville d’origine pendant deux ans.

Je me suis engagé au 1er RCP en juin 2009, où j’ai reçu ma formation de fantassin parachutiste qui a duré 6 mois. Quelques mois après les classes je suis parti pour une mission de quatre mois en Guyane pour la traque des orpailleurs.

A la rentrée 2010 j’ai été choisi pour suivre un stage de tireur de précision, puis dans la foulée, un stage de tireur d’élite longue distance dont je suis sorti major. A l’issu de cette formation nous avons entamés la préparation pour l’Afghanistan. Je suis parti du 1er mai jusqu’au 13 novembre en Kapisa, période durant laquelle j’ai rédigé le journal.


TB : T’es-tu engagé pour vivre des expériences telles que la mission réalisée en Afghanistan ? L’imaginais-tu ainsi ? 

Julien : Je ne sais pas si je peux dire que je me suis engagé pour une mission comme l’Afghanistan, mais je savais très bien que le 1er RCP est un régiment qui est appelé à être projeté en première ligne sur ce genre de théâtre et ce n’est pas quelque chose qui m’a fait reculer. Cependant non, je ne m’attendais pas à ce que j’ai vécu. Nous avions tous entendu tellement de choses sur cette mission que nous ne pouvions pas nous faire une idée réaliste de ce qui nous attendais.

 

TB : Avais-tu décidé avant ton départ pour l’Afgha que tu écrirais un journal au quotidien ? Si oui, expliques nous ta motivation ? Si non, quel déclic t’as rendu cette écriture nécessaire ? 

Julien : Oui et non. Ma famille m’avait encouragé à écrire et à raconter mes journées sur un calepin. Mais honnêtement, j’étais persuadé que même si je commençais à écrire, tôt ou tard j’abandonnerai. Donc je suis parti sans en avoir l’intention. Une fois arrivé sur la base américaine en Afghanistan, j’ai attrapé mon ordinateur et j’ai commencé à raconter nos trois premières journées pour tuer le temps. Par la suite tuer le temps s’est transformé en besoin de raconter ce que nous vivions. Je n’ai pas toujours été assidu, mais j’ai toujours pris des notes pour pouvoir rédiger par la suite. Je crois que cela m’a fait beaucoup de bien même si parfois il fallait que je me force à écrire.

 

TB : Le titre du livre est "197 Jours", on imagine celui qui compte les jours, les grave sur un mur, est-ce à dire que ta façon de graver les jours passés sur le sol Afghan se faisait au travers de l’écriture quotidienne ? 

Julien : C’est marrant que tu me poses la question comme ça, puisque dans mon journal j’ai compté les jours depuis mon départ de 1 à 197. J’ai voulu accentuer cette notion de durée en gardant la forme du journal et en accolant à la date ou j’écris le nombre de jours passés loin de la maison.

TB : Savais-tu lors de l’écriture de ton histoire que tu la publierais ? 

Julien : Non du tout, j’ai écris ca pour mes proches, et pour garder une trace d’une période décisive de ma vie. C’est mon frère qui m’a dit qu’il avait vu sur la toile qu’un journaliste cherchait à recueillir des témoignages de jeunes soldats partis en Afghanistan. Je ne me suis pas du tout tourné vers lui, mais l’idée de publier ce journal a germé dans mon esprit. A mon retour j’ai envoyé le manuscrit à plusieurs maisons d’édition sans beaucoup d’espoir et j’ai été surpris du nombre de réponse positive qui m’ont été retournées.


TB : Les médias de masse parlent assez peu des militaires en opération, hormis lorsque l’un d’entre vous tombe… Les Français vous connaissent donc très mal, on a le sentiment persistant que le peuple français ne comprend plus, n’est plus "en communion" avec son armée… La publication de ce livre est-elle une façon pour toi de combler ce fossé ? 

Julien : Oui, je le dis clairement dans mon livre, j’ai eu envie de publier pour que ceux qui on envie de comprendre ce qu’il se passe la bas pour leurs soldats, le puisse. Des soldats plus jeunes que mois sont tombés, beaucoup d’enfant n’ont plus de papa, et de femmes n’ont plus de maris, nous avons tous un devoir de mémoire envers eux, et j’espère que ce petit livre fera passer ce message.

 

TB : Ton chef de section te dit "Julien, prépares ton sac, tu repars en Kapisa", quelle est ta réaction ? Que lui dis-tu ? 

Julien : J’ai l’impression d’avoir joué au poker avec ma vie en partant là-bas. Il est trop question de chance. Avec du recul, pour ma famille et pour moi, je ne sais pas si le jeu en vaut la chandelle. Beaucoup vous dirait oui, moi je suis honnête et j’espère ne jamais plus être confronté à un tel choix.

 

TB : L’écriture de ce livre t’a t’elle donnée envie d’en écrire d’autres ? 

Julien : Pour écrire il faut avoir des choses à raconter. Bien sur c’est une sacrée aventure de sortir un bouquin et j’ai envie de continuer. Peu être aurez-vous l’occasion de me suivre dans mes prochains voyage, j’aimerai en tout cas. 

Propos recueillis par Pascal DUPONT 

Extrait du livre :

19 juin 2011 (jour 50)

Comme avant chaque grosse mission, et c’est le cas ce soir, c’est l’insomnie. Le petit vélo pédale tout seul dans ma tête, et avec ce qui vient de se passer c’est encore pire... je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qui se passerait si je n’étais plus là. Rien évidemment, la terre ne s’arrêterait pas de tourner, je serai juste une ligne sur un monument aux morts, une cicatrice, et les choses reprendraient leur cours... jusqu’à maintenant, j’ai eu la chance de ne pas avoir été souvent confronté à la mort, ou à la perte de proches.

Et voilà qu’aujourd’hui je la frôle chaque jour et je la regarde dans les yeux. J’ai peur de cette rencontre. Je n’arrive pas à imaginer tout ce à quoi je n’aurai plus droit. Ne serait-ce que me mouvoir sur cette terre. Marcher, courir, le parfum d’une fille, le cinéma, la musique, les voyages, les amis, la famille, la vie... je ne peux pas faire la liste de toutes les choses qui me manqueraient sur cette foutue planète, car j’aime la vie, j’aime ma vie. J’ai fait et vécu déjà des choses à mon âge, mais il m’en reste encore tant... aujourd’hui tout cela repose sur de la chance. Il faut qu’en parallèle, je m’efforce de tirer ce qu’il y a de bon dans cette expérience, croquer la vie, car du bon il y en a surement.

La vie ne consiste pas à attendre que l’orage passe, mais à apprendre à danser sous la pluie. C’est l’école de la vie. À l’école on se sert d’une leçon pour passer un test, la vie c’est un test qui nous sert de leçon. Je suis en train d’en recevoir certainement une des plus importantes de ma vie.