Ce Japon qui n'existe plus...

Par Kaeru @Kaeru

J'ai commencé ce blog sous l'impulsion de mon second voyage au Japon, en 2010. Ce pays m'a donné l'inspiration, le courage de me lancer sur la toile, d'y exposer en public mes photos, mes écrits, mes avis, ma sensibilité. Depuis le début de l'année, ma présence s'est faite discrète. Mon étang, mon espace, est indéniablement lié au Japon et aujourd'hui, à sa douleur.
Le 11 mars 2011
La rencontre avec le Japon, sa culture et ses contrastes s'est faite en douceur, presque sans que je le réalise. Certains ont un coup de foudre, une révélation. Moi, je ne m'en suis pas rendue compte. Avec le temps, quand mangas, littérature, ouvrages d'art et livres de cours de japonais ont envahi mes étagères, j'ai dû me rendre à l'évidence : ce pays m'a séduite, conquise. Il est devenu mon pays de cœur, un refuge, un lieu physique, bien réel sur cette Terre où je pouvais me ressourcer, me reposer.
Et puis, il y a eu le 11 mars. Le tsunami, le choc. J'ai compris alors l'importance cruciale que le Japon avait dans ma vie. J'ai voulu aider. Je me suis informée, tentée de m’y retrouver dans le jargon technique, et puis j'ai écrit une série d'articles pour communiquer mon désarroi, mon envie d’aider. Très vite, j'ai compris que la catastrophe naturelle n'était pas le problème majeur, que le risque venait de l'accident nucléaire. Que ce sont nous, les hommes, qui avons avec nos mains et nos cerveaux, construit ce qui peut nous détruire, ravager les paysages, ravager la Terre.
J'ai voulu garder espoir. Croire qu'une société démocratique, technologiquement avancée comme le Japon qui a gardé un lien spirituel fort avec son environnement pouvait trouver des solutions, pouvait se sauver. Sauver sa population, sauver ses enfants. Circonscrire la zone polluée.
Je me suis trompée.

Choisir entre un mensonge doux et une vérité insoutenable
En février, je suis retourné à Tôkyô pour des raisons professionnelles. A cette occasion, je me suis informée de la situation là-bas. J'avais fait un break pour cause de moral dans les chaussettes et de sentiments ravageurs. Une impuissance totale. Ma quête de vérité a été amère.
D'un côté, les média ignorent le problème et donnent même une impression de retour à la normale. Et puis, la voix officielle, rassurante, comme le site de l'ambassade, ne cesse de répéter que tout va bien. Il suffit de ne pas entrer dans la zone d'exclusion. Oui, il y a un peu de radioactivité, mais rien de grave. Pas plus méchant que des examens médicaux avec une radiographie. Des messages que j'aimerais tant croire...
Et de l'autre côté, quand on fouille, que l'on va sur les sites tenus par les veilleurs de Fukushima, la réalité est horrible. Alors qui croire ? Qui croire quand il n'y a pas de juste-milieu, quand une information dit "pas de problème" et que l'autre dit "c'est désespéré". J'aurais tant voulu croire le message d'espoir, mais j'ai perdu mon innocence.

Les veilleurs de Fukushima sont une poignée de courageux, scientifiques et personnes comme vous et moi, qui consacrent leur temps à nous informer, à déchiffrer les documentations complexes, à expliquer, à vulgariser. Les veilleurs, certains au péril même de leur santé, se battent au quotidien pour révéler au monde la réalité de la contamination, des mensonges du gouvernement et des industriels.
Aujourd'hui, le Japon assassine son peuple. Les millions de tonnes de déchets radioactifs du Tsunami sont envoyés dans tout l’archipel pour être incinérées... Mais le feu ne détruit pas les radionucléides. Et une fois devenus poussières, infirmes particules, ils se répandent dans l'atmosphère, entrent dans le cycle de l'eau, contaminent la terre, les végétaux, animaux, et bien sûr, l'homme. Quasiment tout l'archipel du Japon est aujourd'hui contaminé à des degrés divers. Un empoisonnement insidieux, lent à des doses parfois infimes et pourtant, nuisible. Terriblement dangereux.

Source : http://one-world.happy-net.jp/ukeire/


Ouvrir les yeux et ne plus jamais pouvoir les fermer.
Je ne vous ferai pas un exposé de la situation. Si vous aimez le Japon, informez-vous, vous trouverez des liens en bas de l'article.
J'ai compris que ce n'était pas l'économie qui avait besoin de soutien, mais le peuple. Et son gouvernement, les industriels, les puissants ne font rien, au contraire.
Aujourd'hui acheter en provenance du Japon présente un risque. Consommer de la nourriture japonaise, c'est comme jouer à la roulette russe avec un révolter chargé avec des balles à blanc et une réelle. Au mieux on se blesse, au pire on se tue.
J'aurais tant voulu croire à un avenir radieux. A une reconstruction. Mais les mensonges, la cupidité, la soif de pouvoir et le refus d'assumer ses erreurs dictent leur loi mortifère. Avec le redémarrage des centrales, une partie de la population se soulève. Pour les soutenir, il suffit déjà de relayer les informations et d’arrêter de disséminer un angélisme criminel en prétendant que tout va bien.
Vous aimez le Japon ? Vous voulez soutenir le peuple ? Alors, ouvrez les yeux, faites circuler les informations, arrêtez de croire aux sirènes si tentantes qui prétendent que tout va bien. Arrêtez d'être dans le déni.
Jamais plus je ne pourrai inciter quelqu'un à partir en voyage au Japon et certainement pas y vivre.
J'y suis retournée avec une conscience des risques – probablement assez partielle d'ailleurs. Jamais, dans ma vie, je n'ai connu un sentiment de déchirure aussi fort. Je voulais apprécier, m'amuser tout en prenant des précautions – je suis partie avec de la nourriture. Mais là-bas, face au déni de la population qui n'a pas d'autre choix que vivre dans une terre empoisonnée, face à des familles, des enfants jouant dehors, j'ai compris.
Faire son deuil, et retourner au combat
Mon Japon, celui d'avant la catastrophe, mon Japon-refuge, mon Japon-poème n'existe plus. Le Japon des animés, le Japon de Miyazaki, le Japon des mangas, le Japon des romans, le Japon à la cuisine raffinée, le Japon fun et rigolo n'existe plus. Ce Japon là est devenu intérieur, un espace fantasmé. La réalité et sa contamination invisible qui répand la mutation, maladie et mort, grignotent toute l'archipel.
Et ce sont les hommes, les responsables...
Alors, je vous en prie, si vous aimez le Japon, sa culture, son peuple, ne répandez plus de mensonges. Si vous voulez soutenir, faites-le sans vous faire avoir. Ce n'est pas en "achetant" ni en faisant de la promotion pour un tourisme dans des lieux probablement souillés pour des millénaires qu'on apporte une aide aux hommes. Le vrai problème vient du nucléaire et de l'humain.
Je comprends qu'on retourne au Japon, comprend qu'on parte toujours là-bas. Je ne juge pas. C'est un choix personnel qu'il faut faire en connaissance de cause. Et je vous en prie, ne l'imposez pas à vos enfants. Prendre des risques pour sa vie est un privilège d'adulte. Tant de petits japonais voient leur avenir raccourci par la contamination, emmener ses enfants est d'une stupidité telle qu'elle en devient criminelle.
Il m'aura fallu plusieurs mois pour avoir le courage de faire cet article. J'ai conscience qu'il va en froisser certains, en mettre d'autres en colère.
Je ne colporte ni la peur ni l'angoisse. Je communique juste ma grande tristesse et la solution que j'ai trouver : m'informer, me protéger, agir en diffusant ce que je sais être vrai et juste, donner à des associations, des sites web qui agissent sur le terrain. Réfléchir à nos actions, à ce que notre mode de vie confortable implique sur notre Terre. Réfléchir à ses impacts.
Je n'entrerai pas les débats techniques sur l'usage du nucléaire. Je n'ai ni les connaissances scientifiques ni l'envie. J'ai choisi mon camp, celui de la vie.
Enfin, je vous demande d'être respectueux dans vos commentaires. Je vous rappelle que vous êtes ici dans mon étang, si le contenu ne vous plaît (plus) pas, rien ne vous oblige à rester. Je me réserve le droit de supprimer de façon totalement dictatoriale et abusive (non, en fait c’est pas vrai) toutes réactions que je trouverai insultantes, blessantes ou idiotes.

Pour conclure sur une note positive, à l’heure où j’écris ce texte, à Tokyo, tout les vendredis depuis des semaines, une foule toujours plus nombreuse se réunit pacifiquement pour dire “non” au nucléaire. Le 16 juillet, ils étaient 170 000 à crier leur colère, sous le symbole d’une fleur, l’hortensia “ajisai” en japonais.

Une révolution douce ? par Aujourdhui_le_Japon
Merci d’avoir pris le temps de me lire.
Voici des liens utiles sur le sujet :
1 Pour agir et s'informer
- L'association d’une amie franco-japonaise Aizen :
http://kibo-promesse.org
Je vous encourage à lire notamment les articles suivants, simples et pédagogiques :
http://kibo-promesse.org/2012/07/interview-de-janick-magne/
http://kibo-promesse.org/2012/06/independentwho-forum-scientifique-et-citoyen-sur-la-radioprotection-de-tchernobyl-a-fukushima/
http://kibo-promesse.org/2012/06/actions-solidarite-fukushima-kibo-promesse/
- Le blog "Les fleurs du printemps nucléaire"
- Le point sur l’état de la centrale et une pétition en cours :
http://fukushima.over-blog.fr/article-appel-urgent-pour-eviter-une-nouvelle-catastrophe-nucleaire-mondiale-107834979.html
- La liste des blogs des veilleurs francophone
http://lesveilleursdefukushima.blogspot.fr
- Le groupe facebook francophone des Veilleurs :
https://www.facebook.com/groups/234589883320888
2 Pour aller plus loin - Le dossier spécial Japon sur le site de la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la RADioactivité
http://www.criirad.org/actualites/dossier2011/japon_bis/sommaire.html
- Le site de l’Autorité de Sureté Nucléaire sur le Japon
http://japon.asn.fr/
- Des informations quotidiennes en anglais et japonais sur la situation à Fukushima :
http://fukushima-diary.com/

3 Mes autres articles sur le sujet :- Un triste anniversaire (11/03/2012)
- Photographies pour le Japon : soutenir avec des images et des rêves (23/11/2011)
- Six mois après, le Japon...(11/09/2011)
-Fukushima : dégainez vos consciences ! (21/06/2011)
- Printemps gris (18/03/2011)
- La rentrée au Japon : un voeu pour que le souffle du printemps chasse les ombres (01/04/2011)
- Japon un mois apres (11/03/2011)Copyright : Marianne Ciaudo