Vertige – Franck Thilliez

Par Ray31

Par Jacques Henri

Date de publication originale : 2011 (Fleuve noir)
Genre : Suspense
Personnages principaux : Jonathan Touvier, alpiniste
Interview de l’auteur sur ce roman :
sur Livresque du noir

Mes précédents contacts avec Thilliez m’avaient inspiré des sentiments mitigés (voir ci-dessus). Mais la quatrième de couverture était tellement accrocheuse que j’ai décidé de rempiler. Et je ne le regrette pas.

Si vous avez visité les liens précédents, vous connaissez le contexte: dans un huis-clos implacable et victimes d’un piège infernal, trois hommes captifs au fond d’une grotte, virtuellement enchaînés les uns aux autres sont visiblement destinés à mourir de froid ou de faim, à moins qu’ils ne s’entretuent avant. Les trois mecs ne se connaissent pas et n’ont pas la moindre idée de pourquoi ni comment ils ont abouti là. Le décor est planté et le ressort tragique est remonté. La question est: Thilliez va-t-il tenir la distance? Et, ma foi, oui, c’est joliment réussi. Un suspense angoissant, classique et parfaitement maîtrisé qui ne vous lâchera pas jusqu’à la fin.

Sur cette trame minimaliste, avec ce seul décor et ces trois seuls personnages, Thilliez profite du moindre détail pour faire monter la tension d’un cran à chaque fois. Sur le plan de la survie physique (et la documentation sur la spéléologie et l’alpinisme est brillamment mise à profit, sans excès didactique); mais surtout sur le plan de l’interaction sociale que les trois gars vont devoir tisser entre eux: alliances, trahisons, mensonges, solidarités, barbarie et compassion. La dynamique sociale oscille sans cesse. On est dans une version extrême du dilemme du prisonnier, le classique de la psychologie sociale ou dans une version du célèbre film La chaîne, qui aurait été revue et corrigée par Michel Siffre. Et chacun des trois hommes devra se mettre à nu devant les deux autres et remonter dans son passé pour que, ensemble, ils finissent par trouver le lien qui les relie et explique (peut-être) leur situation commune actuelle.

Thilliez écrit cette fois beaucoup plus sobrement, dans un style épuré qui va de pair avec ses choix minimalistes. Pas de détails inutiles (tous les détails sont importants). Il y a aussi quelques scènes très dures (coeurs sensibles, passez vite!) mais elles sont écrites sans complaisance morbide et elles sont absolument nécessaires à l’intrigue. Les personnages sont fouillés et se révèlent au fur et à mesure de leur interaction dans leurs côtés sombres et dans leurs fibres d’humanité. Le substrat littéraire et philosophique (la caverne de Platon, l’histoire de David et Urie, le huis clos sartrien) est omniprésent, mais, brillamment, implicite. Thilliez renonce à la tentation du pédantisme et même du didactisme.

Alors, oui, un Coup de coeur. Mais pourquoi pas un 5? À cause de la finale. J’ai d’abord craint une entourloupette du style Rien de tout cela n’était vrai (à la Grangé ou à la Serfaty, dont Thilliez est proche par l’inspiration générale de son oeuvre), mais heureusement, Thilliez renonce à l’explication psychiatrique (même s’il jongle avec elle pendant plusieurs pages) et la finale rationnelle prévaut. Mais au prix d’avaler une couleuvre (d’envergure moyenne, quand même!) et de laisser quelques fils secondaires en l’air. Rien, toutefois, pour ruiner le plaisir de lecture véritable que procure ce roman coup de poing. À lire sans hésitation. Il y a là de quoi me réconcilier avec Thilliez.

Ma note : 4,5  / 5