Littérature égyptienne (44) - le roman de sinouhé : 3. itinéraire vers d'autres terres ...

Publié le 24 juillet 2012 par Rl1948

A nulles rives dédiée, à nulles pages confiée la pure amorce de ce chant ...

D'autres saisissent dans les temples la corne peinte des autels :

Ma gloire est sur les sables ! ma gloire est sur les sables ! ...

Et ce n'est point errer, ô Pérégrin,

Que de convoiter l'aire la plus nue pour assembler aux syrtes de l'exil un grand poème né de rien, un grand poème fait de rien ...

SAINT-JOHN PERSE

Exil, II

dans Oeuvres complètes,

Paris, Gallimard, La Pléiade,

p. 124 de mon édition de 1972

   Six papyri et vingt-six ostraca actuellement connus permettent, étudiés de manière synoptique, de reconstituer ce que les égyptologues estiment être l'intégralité - quelque 335 lignes - du Roman de Sinouhé. Nonobstant les nombreuses études philologiques qui lui furent consacrées, l'oeuvre n'a toujours pas véritablement révélé tous ses secrets.

   Cela se conçoit aisément dans la mesure où le moment le plus important de son intrigue - que nous avons découvert ensemble mardi dernier, souvenez-vous amis lecteurs -, à  savoir : quand Sinouhé, qui accompagnait l'héritier présumé, Sésostris Ier, dans son expédition contre le pays des Libyens, surprend, à son corps défendant, des propos échangés entre un émissaire du Palais et un autre des fils d'Amenemhat Ier, tout récemment décédé ; conversation qui, vous l'avez constaté, le trouble au plus haut point.

   Moment crucial donc, mais qui reste à jamais pour nous nimbé de mystère, rien ne nous étant, nulle part dans la composition romanesque, divulgué réellement.

   Les exégètes, toutefois, pensent qu'il s'agissait d'allusions à un complot vraisemblablement fomenté par un des princes prétendant au trône qui aurait causé la mort soudaine et violente du roi. Cet attentat, survenu après le repas du soir, est par ailleurs narré dans une autre oeuvre littéraire relativement contemporaine, l'Enseignement d'Amenemhat Ier, destiné à son fils Sésostris Ier.

   Parce qu'il est évident que Sinouhé n'aurait pas dû entendre les propos qu'il a interceptés, il cherche à se cacher dans des buissons de manière à laisser passer sans être vu l'armée égyptienne qui le talonne.

   Ce danger écarté, quittant les terres libyennes, il se dirige vers le Nil en se promettant bien de ne pas revenir dans la capitale, ce qui le précipiterait entre les mains des conjurés.

   Apeuré, pris de panique, probablement convaincu de l'imminence d'un conflit d'envergure, notre héros décide de s'enfuir pour chercher refuge en pays asiatiques sans en référer à Sésostris Ier, son maître, et sans l'avertir de la conspiration ourdie contre son père.

   Sur la carte ci-après, il m'a paru intéressant de signifier en traits interrompus rouges l'itinéraire parcouru en Égypte qu'il mentionne dans son récit. Comme m'a semblé opportun, après la lecture de ce dernier, de vous fournir quelques explications supplémentaires aux seules fins de géographiquement mieux appréhender les données topographiques dont il rend compte dans les termes spécifiques à son époque.

     Je traversai le Maâti (1) aux environs du Sycomore (2) et approchai de l'enceinte de Snéfrou (3)

Je passai une journée à la lisière d'un champ. C'est lorsqu'il fit jour que je me mis en route.

Je rencontrai un homme qui se tenait debout sur le bord du chemin : il me salua avec respect, moi qui le craignais.

C'est quand vint le moment du repas du soir que j'arrivai à la rive des boeufs.

Je traversai l'eau sur une barge dépourvue de gouvernail (4) grâce à la force du vent d'ouest.

Je passai à l'est de la carrière de pierres, sur la hauteur de la Dame de la Montagne rouge (5)

Je me mis en route vers le nord et atteignis les Murs du Prince (6) fait pour repousser les Asiatiques et pour écraser les coureurs des sables.

     Je m'accroupis dans un buisson dans la crainte que me voient les gardiens du fortin qui était surveillé ce jour-là. Je me mis en marche au moment du soir et lorsque j'atteignis Peten  (7), le jour se leva.

Notes

(1)   Le Maâti : les égyptologues ne sont pas encore parvenus à se mettre d'accord sur la réalité géographique de ce terme.

(2)   Le Sycomore : sanctuaire dédié à la déesse Hathor, proche de Guizeh.

(3)   L'enceinte de Snéfrou : allusion au complexe funéraire de Snéfrou, à Dachour, au nord de Licht, la capitale officielle de l'époque. Vous remarquerez, amis lecteurs, que, se gardant bien de revenir au palais pour les raisons que j'ai expliquées d'emblée ce matin, Sinouhé bifurque alors et se dirige vers le nord-est.

(4) ... dépourvue de gouvernail : Sinouhé traverse le Nil sur une embarcation sans gouvernail parce qu'uniquement prévue pour transporter du bétail et non des passagers.

(5)   La Montagne rouge : le Gebel el-Ahmar.

(6)   Les Murs du Prince : à l'encontre de ce que d'aucuns pensent, à savoir qu'il s'agirait d'une ceinture de murs fortifiés, le Professeur Malaise insista lors de nos travaux sur le fait que des fouilles effectuées dans la région avaient permis de déterminer l'existence d'un ancien canal dont le tracé allait de Péluse jusqu'à Kantara, puis du lac el-Balach vers le lac Timsah.

   Parallèlement, il fit référence à un texte qui précisait que Mérikarê, souverain de la Première Période intermédiaire, avait déjà projeté de creuser un canal entre une forteresse appelée les "Chemins d'Horus" et les lacs Amers. N'ayant finalement pas été réalisé, Amenemhat Ier, - Prince fait pour repousser les Asiatiques, comme l'indique Sinouhé -, l'aurait par la suite entrepris avec une finalité défensive dans la mesure où les terres accumulées par son creusement, mises sur les côtés, auraient servi de bastions, de fortins qui, toujours selon le narrateur, n'auraient  vraisemblablement pas été gardés en permanence.

   Merci à Franck Monnier, interlocuteur de choix, pour les pénétrantes discussions qu'en juin dernier nous avons échangées à propos de ces Murs du Prince : ouvrage qui, égyptologiquement parlant, fit et fait encore couler beaucoup d'encre quant à sa situation et son aspect précis.

   Il appert de nos confrontations d'opinion que si, au départ des termes égyptiens employés pour notifier la construction en question - jnb, au singulier et jnbw, au pluriel -, les uns traduisent par "canal" quand d'autres préfèrent "murailles", "forteresse" ou "réseau de fortins", il est grandement nécessaire que l'on se penche sur ce problème de manière à définitivement l'éclaircir ...

   Pour sa part, Frank s'attelle à écrire un article sur le sujet qui devrait incessamment paraître au sein d'une revue d'égyptologie montpelliéraine librement accessible sur le Net (ENIM).

   Pour ce qui me concerne, reprenant par là l'esprit d'un passage d'un courrier qu'il m'adressa, je conclurai qu'il me paraît actuellement plus sage de ne considérer ces "Murs du Prince" que comme un ensemble d'ouvrages visant à protéger d'invasions asiatiques ennemies la frontière septentrionale de l'Égypte.

(7)   Peten : ce terme étant suivi du hiéroglyphe déterminant les pays étrangers, Sinouhé nous indique qu'il a donc là quitté l'Égypte.

   A suivre ...

   (Je ne rappellerai jamais assez tout ce que cette mienne traduction doit à l'enseignement, aux conseils avisés et aux corrections pointues du Professeur Michel Malaise qui, voici près d'un quart de siècle, guida mes premiers pas dans l'apprentissage de la langue et de l'écriture égyptiennes.)