[Critique] OSLO, 31 AOUT de Joachim Trier

Par Celine_diane



Le temps qui défile, le temps perdu, cruel, retrouvé. Comme dans un roman de Proust (qu’il cite par ailleurs) ou de Woolf (dont le personnage principal copie le suicide), Joachim Trier fixe les heures, droit dans les yeux. Les heures de cet ex-camé norvégien, sur la voie de la rédemption mais attiré par les vertiges de la non-conformité, sorte d’adulte-enfant- et vice versa- à qui l’on aurait piqué ses jouets (les drogues et leurs libertés illusoires) et qui refuserait de les remplacer par d’autres (la Playstation citée par le meilleur pote, une vie de famille, un travail). Cette vie « d’idiots », Anders n’en veut pas. Trier, dans cette adaptation d’un roman de Pierre Drieu La Rochelle, (Le Feu follet) ne juge jamais aucune des parties. Ni celui qui préfère la mort du corps à celle de l’esprit; ni ceux qui dénigrent l’abandon facile aux plaisirs éphémères. En une journée, de lieux en lieux, de visages en visages, on remonte paradoxalement le fil du temps. On comprend ce qui a mené Anders (excellent Anders Danielsen Lie) jusqu’en cure de désintox. On commence à entrevoir l’impossible issue de son voyage. On entre, avec lui, dans le tunnel. 
Le mal-être d’un homme qui a la rage de vivre, et à qui l’on impose des limites. Voilà ce qu’évoque chaque image du deuxième film du Trier (après Nouvelle donne), animée d’une puissance évocatrice folle. Une conversation avec un ami de défonce évoque le vide vertigineux de l’existence et ses carcans imposés (les gamins, le mariage, et le reste). Une dizaine de minutes dans un café, où s’entrecroisent les espoirs, rêves et désillusions de l’humanité offre l’une des plus belles séquences du film. Un monologue sur les parents, un morceau de piano joué dans la maison d’enfance, ne parlent de rien d’autre que de l’infatigable course du temps, qui épuise, lessive, blesse les innocences d’hier. « J’ai 34 ans, et je n’ai rien », dira Anders, silhouette perdue parmi mille silhouettes, dans un Oslo mélancolique et froid où planent fantômes et regrets, esprits rebelles et résignation. A 38, Trier, pour sa part, signe une œuvre majeure, d’une beauté tenace.