Si la France était à Vichy, l'Allemagne était à Paris

Publié le 25 juillet 2012 par Edgar @edgarpoe

Pas mal de débats sur Vichy, suite au discours de Hollande.

La phrase du président élu relevée par beaucoup, et contestée, est brève : "le crime fut commis en France par la France".

La phrase est vraie et fausse à la fois.

Elle est fausse, parce que, comme cela a été dit plus ou moins véhémentement, on peut considérer que la France était à Londres alors que les criminels du gouvernement Pétain étaient à Vichy. C'est la position d'Henri Guaino, de Laurent Pinsolle, de Chevènement, ou, très intéressant aussi, parce que solidement argumenté, le point de vue de l'historien Alain Michel sur herodote.net mais aussi des arguments encore plus complets sur son blog.

La synthèse d'Alain Michel est intéressante :

-La décision d'organiser la rafle est une décision allemande, et le cadre des arrestations a été prévu par la Gestapo-SS. La police parisienne s'est contentée d'obéir à ces instructions, comme cela avait été le cas lors des rafles de 1941.

-Le gouvernement de Vichy a accepté de jouer un rôle actif dans ces arrestations pour deux raisons : limiter les arrestations aux Juifs apatrides, afin que les Juifs français ne soient pas touchés, et se débarrasser eux-mêmes d'un certain nombre de Juifs étrangers qui se trouvent en zone sud.

-Vichy, et en particulier le chef du gouvernement, Laval, n'a pas demandé que l'on arrête et que l'on déporte les enfants de Juifs apatrides lors de la rafle du Vel d'hiv. Il a seulement imposé que les Juifs apatrides de zone sud soient livrés par familles entières, et pas seulement les adultes, question qui n'est pas liée avec la rafle du Vel d'hiv.

-En conséquence de la limitation des arrestations aux seuls Juifs apatrides, les Allemands ont dû supprimer des déportations de province, et la rafle du Vel d'hiv n'a pas atteint l'objectif qu'ils avaient espéré.

-Pour combler le manque de personnes arrêtées, les Allemands ont décidé de déporter également les enfants arrêtés lors de la rafle du Vel d'hiv, au lieu qu'ils soient confiés à l'Assistance publique et à l'UGIF.

-Vichy a donc été complice de la rafle, et non son initiateur. Mais cette complicité a, paradoxalement, limitée les dégâts, en limitant le nombre d'arrestations. Bien sûr, cette conséquence n'avait pas été volontaire, et Vichy n'avait sans doute pas plus réfléchi à cela que les nazis eux-mêmes. Son but était, d'abord et avant tout, de protéger les Juifs français, y compris ceux de zone occupée. Comme l'écrivait déjà le grand historien américain Raoul Hilberg dans son ouvrage central sur la Shoah : "Quand la pression allemande s'intensifia en 1942, le gouvernement de Vichy se retrancha derrière une seconde ligne de défense. Les Juifs étrangers et les immigrants furent abandonnés à leur sort, et l'on s'efforça de protéger les Juifs nationaux. Dans une certaine mesure, cette stratégie réussit. En renonçant à épargner une fraction, on sauva une grande partie de la totalité". (La destruction des Juifs d'Europe, Gallimard, Folio histoire 2006, p. 1122-1123).

J'aime bien le commentaire de Simon, suite à cette synthèse :

"Vous écrivez : »On comprend donc que fin juin 1942, les Allemands ont à la fois l’intention et les moyens de réaliser la rafle projetée. Il est donc infondé de prétendre que sans l’acquiescement de Vichy, la rafle n’aurait pas eu lieu ».

Alors pourquoi vichy a-il « acquiescé » et participé activement à la rafle s’il n’y était pas forcé comme vous le reconnaissez?
Pour faire joli sur la photo ou plus boche que boche….
Vos conclusions noircissent encore plus le régime de pétain."

Il y a donc matière à débat sur le rôle de Vichy, à la fois politique et historique.

Savoir si Vichy c'est la France est une question encore différente.

On peut rappeler que l'assemblée qui vota les pleins pouvoirs à Pétain était celle de la IIIème république, même si, là encore, des historiens viennent nuancer ce propos.

On peut relire ces récits sur la prestation de serment des magistrats du Conseil d'Etat de l'époque, jurant fidélité personnelle à Pétain.

Je ne suis donc pas choqué que, dans le cadre de ces rappels, destinés à souligner la fragilité de la démocratie, on puisse dire, rapidement, que la France, en 1940 et les années suivantes, a failli. Dans le même temps, il faut rappeler que la France de Londres s'est mise à grandir dès juin 1940.

C'est une question de niveau d'analyse, de registre de langage.

On peut dire que la France, une certaine France était à Vichy, en 1940.

Mais si l'on est président de la république, il convient de prendre deux précautions. D'abord, être impeccable sur les faits. Les rappels d'Alain Michel montrent que Hollande a été, sur certains points, trop rapide.

Ensuite, dans le cadre d'un discours long, complexe, ne pas travestir. Si l'on explique que la France a commis le crime du Vel d'Hiv, il ne suffit pas de dire que ce crime fut commis "contre la France", ce qui semble annuler l'affirmation précédente.

La France ainsi décrite par Hollande n'existe pas. Elle est à la fois coupable et victime, victime et coupable.

Ce qui est réellement gênant est que l'ensemble du discours de Hollande ne permet pas de sortir de cette confusion, parce que, posé tel quel, est trop simplifié. 

L'exactitude devrait conduire à éviter de trancher trop rapidement sur la responsabilité de "la France" dans le massacre des juifs de France entre 1940 et 1944. Le régime de Vichy, Londres, la résistance, l'occupation allemande, l'étrange défaite, la France libre, autant de notions qui interdisent de pouvoir trop vite affirmer quoi que ce soit rapidement sur cette période.

Et si l'on veut en rester à des généralités, il faut alors le faire complètement. Si l'on souhaite notamment invoquer "la France", il faut alors se soucier d'un grand absent, "l'Allemagne". Les explications de Hollande seraient plus complètes si, en affirmant que la France était à Vichy, il rappelait également qu'au même moment, l'Allemagne était à Paris.

Hollande a fait exactement l'inverse, en affirmant que pas un allemand n'a "été mobilisé" pour la rafle du Vel d'Hiv. De fait, mobilisés, les allemands l'étaient déjà. La police française a procédé aux arrestations, mais, dans le cadre de l'armistice, elle était à disposition de l'Allemagne.

Le discours de dimanche était donc, de mon point de vue, non pas scandaleux, mais baclé. 

Je suggère à François Hollande, le 17 juin 2013, de consacrer un discours au devoir de désobéir. Poursuivant le retour de la France sur son passé, il permettrait d'éclairer comment, en obéissant à une apparence de légalité, on se fourvoyait en 1940, et comment, en risquant la peine de mort pour désertion, comme de Gaulle, on éclaire l'avenir.