Frank Ocean – channel ORANGE

Publié le 06 août 2012 par Wtfru @romain_wtfru

On commence par quoi ? Parler de son appartenance à Odd Future, song-writer et chanteur officiel du crew de fous furieux ? Ou son buzz il y a un mois à peine avec cette lettre dans laquelle il avoue sa bisexualité ?
A vrai dire, qu’il aime les hommes, les femmes, les animaux, on s’en fout un peu même si pour l’image du milieu « hiphop r&b » c’est quelque chose. Alors concentrons-nous sur son parcours, le voulez-vous ?

Comme dit en préambule, Frank Ocean est la caution love de OFWGKTA depuis 2009 et l’avènement du collectif mené par Tyler, the Creator. Il sera de toutes les aventures discographiques du crew, de Goblin de Tyler à Mellowhype en passant par l’album collectif.
Mais c’est avec sa première escapade en solo que le californien (de naissance) va connaître une certaine renommée. Sa mixtape Nostalgia, Ultra, sorti l’an dernier, a été encensée de toute part, du simple auditeur aux journalistes spé. Une réception qui arrive en même temps que sa toute fraîche signature en major chez Def Jam et qui lui permet d’attiser les convoitises des plus grands, en particulier Jay-Z et Kanye West qui lui confieront deux refrains de leur album commun. Pas mal pour un début. Suivront Brandy, John Legend et la prêtresse du r&b herself, Beyoncé. De quoi se lancer sereinement dans un premier album solo attendu de toute part.

Pour chauffer l’auditeur, Frank Ocean envoie tout d’abord dans la ballade romantique, classique du genre. Thinkin About You met tout le monde d’accord avec son ambiance mi suave mi organique. La partie vocalise monte très haut et le premier single finit de convaincre les plus sceptiques. L’album est d’ores et déjà l’un des plus attendus de l’année. Sauf que là où l’on voyait la possibilité d’une jolie éclaircie dans le monde du R&B va très vite se transformer en révolution.
La faute à cet incroyable second single, Pyramids, OVNI du genre quelque part entre le banger club et le slow jam digne des 80′s de quasi dix minutes. Un morceau d’une facilité auditive qui tranche d’avec sa complexité en terme de production. On ne va pas vous faire la liste de toutes les couches d’instruments qui se succèdent voire s’entrecoupent, mais c’est du grand art. Félicitations aux trois concepteurs du titre, Malay (quasi producteur de tout l’album), Om’Mas Keith (du trio de génies Sa-Ra) et Ocean en personne. Et pour ne rien gâcher, Pyramids vaut également le coup d’oreille d’un point de vu lyrical. De la musique entrainante, sophistiquée et intelligente, la comparaison avec Prince est toute trouvée et trop facile. Mais vraie…

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Et ce qui ressort des premiers morceaux, c’est cette appartenance aux grands artistes r&b du passé. L’enchaînement d’entrée Thinkin About You-Sierra Leone-Sweet Life fera très vite grimper la température et renvoie directement à cette période musicale des 70′s. Le dernier nommé, produit par Pharrell Williams, ambiance smooth à souhait n’est pas sans rappeler un bon vieux Stevie Wonder ou Marvin Gaye post- »What’s Goin’ On ». Et là encore, c’est très intéressant niveau texte puisqu’il lance la trilogie « les dérives du luxe et de la vie décadente » clôturé avec Super Rich Kids avec l’apparition de ce bon vieux (jeune plutôt) Earl Sweetshirt pour le seul morceau à consonnance hip-hop de l’album. Un titre au tempo ralenti avec de multiples excellentes références culturelles que ce soit du monde de la musique, du cinéma ou même de la littérature. Encore une bonne pioche.
Ce passage au hip-hop marque un tournant de l’album puisqu’il lance une série de morceaux à consonances plus récentes. Pilot Jones déjà, avec un style très sudiste et une énorme ressemblance avec D’Angelo côté voix. Puis Crack Rock ambiance plus funk-rock avant la fresque monumentale déjà citée plus haut, Pyramids.

Avec sa durée, le morceau sert de pièce centrale à l’album et permet d’entrer dans la dernière ligne droite de l’album. Et quelle ligne droite! De manière « légère » tout d’abord avec Lost, et cette histoire très bien ficelée de cette jeune fille perdue par la drogue. Mais aussi le très bon « potentiel hit » Monks et son ambiance funk-jazz futuristique qui rappelle une fois de plus Prince ou encore les Funkadelic.
Mais si jusqu’ici Frank Ocean se montrait critique omniscient, il se plonge désormais de plein pied dans son disque.  C’est bien quand il joue avec sa propre histoire et son propre ressenti que l’opus passe dans une autre dimension. L’émotion procurée par Bad Religion est d’une intelligence aussi fine que rare de nos jours dans ce genre musical. Tout comme celle de Forrest Gump, allusion très directe à sa préférence sexuelle. Et si tout ceci est déjà bien assez, ce n’est rien comparé au chef d’oeuvre mi-soul mi-blues de Pink Matter. Tout en retenue, tout en susurre, tout en riff de guitare entêtant. Les plus vrais n’auront pas manqué l’ambiance The Love Below, le mythique album d’André 3000 (officiellement d’Outkast)… featuring du morceau (et joueur de guitare pour l’occasionà. Y’a pas de hasard. C’est musicalement superbement orchestré, véritable feu d’artifice de plaisir pour terminer un album en tout point merveilleux.

Tous les titres ont été énuméré et aucun n’est à jeter. Tout est dit. D’une homogénéité et d’une intelligence à tout épreuve cet album est d’ores et déjà un classique. On peut compter facilement trois, quatre titres qui feront parti des meilleurs de l’année voire de la décennie dans le genre pour au moins deux. Tellement loin de ce qui se fait dans le monde du r&b aujourd’hui, channel ORANGE ne tue pas la concurrence, il l’annule. On peut s’avancer assez facilement pour dire qu’il s’agit du meilleur album r&b des temps modernes, comme l’était Brown Sugar puis Voodoo de D’Angelo pour la soul. Un album d’une maturité incroyable pour un mec d’à peine 24 piges et qui vient se placer directement aux côtés des têtes et des voix qu’étaient/sont Marvin Gaye, Curtis Mayfield ou Marvin Gaye (dont il se rapproche peut être le plus). On parlera encore longtemps de cet album, aussi bien pour son côté air du temps/encensé par le monde des réseaux sociaux (il fallait voir la folie du premier jour sur Twitter) que pour son universalité musicale qui vient de foutre un énorme coup de pied dans la fourmilière du R&B. Et ça lui fait du bien!

PS: Mine de rien, ça fait déjà deux classiques pour ces ordures d’Odd Future après le solo de Tyler.

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+1

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Les Incontournables:
Pyramids
(voir plus haut)

Monks

Pink Matter (feat. André 3000)

Thinkin About You

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